Ardinghera, de Régis Messac

Publié le par Yan

Au début des années 1930, gare Saint-Lazare, un voyageur monte dans le train de banlieue à destination de Ville-d’Avray avant de s’écrouler. L’homme a été proprement poignardé avec une pointe très effilée. Robert Massion, commissaire par intérim, est chargé de l’affaire et bénéficie de l’aide de Benoît Bandan, sorte d’éternel étudiant en droit doté d’un esprit de déduction particulièrement acéré. De Saint-Lazare à la banlieue, d’hippodromes en manoir en passant par des baraques de foire, les deux hommes se lancent ainsi très vite à la poursuite d’une suspecte ; une femme à la beauté troublante qui ne cesse de leur échapper.

Paru aux éditions de la Grange Batelière, le roman de Régis Messac – initialement publié en feuilleton dans Le Quotidien en 1931 – est pour le moins singulier. Messac joue avec les codes du Detective Novel qu’il avait lui-même étudié en tant que genre. Il recrée ainsi avec Massion et Bandan un duo qui n’est bien entendu pas sans rappeler Watson et Holmes. Un peu dépassé, extrêmement terre à terre, Massion laisse bien vite les rênes de l’enquête à Bandan dont l’esprit logique et l’assurance imposent une forme de déférence au jeune commissaire.

Par sa structure originelle, 15 chapitres en 28 livraisons dans Le Quotidien, nous dit Jean-Paul Morel dans sa préface, Ardinghera adopte un rythme très vite prenant. Mais cela seul ne suffirait pas à en faire un bon roman. Il y a aussi, tout au long du récit, une forme extrêmement plaisante d’ironie avec laquelle Régis Messac joue avec les motifs du genre sans pour autant les renier. C’est un vrai roman de détection qu’il offre, mais l’œuvre est aussi, sous sa plume, une forme de jeu dans lequel le lecteur se laisse entraîner avec plaisir. Plaisir d’autant plus vif aujourd’hui que l’on découvre une langue un peu désuète dans laquelle on dit les choses « bonifacement », où l’on fait preuve d’une « infernale habileté », sans que, pour autant, l’ensemble paraisse trop pesant. Mieux, on s’y immerge avec bonheur car Messac sait assez bien doser ces affèteries pour échapper à la lourdeur. Sans doute même – mais on n’est pas linguiste – joue-t-il à travers cela encore sur le registre de l’ironie, du recul par rapport au genre.

Ajoutons enfin que les éditions de la Grange Batelière offrent au roman un bien bel écrin doté de nombreuses photos d’illustration qui enrichissent la lecture. Bref, voilà un bien bel objet pour un roman étonnant et décalé. Une véritable curiosité.

Régis Messac, Ardinghera, La Grange Batelière, 2021. 227 p.

Publié dans Noir français

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