American Predator, de Maureen Callahan

Publié le par Yan

Un livre de non-fiction consacré à un tueur en série particulièrement retors et intelligent ? Encore ? Eh bien oui, encore. Et pourtant, voilà un ouvrage bien différent de ceux auxquels on est en la matière – malheureusement – habitués.

En effet, la journaliste Maureen Callahan évite les écueils propres au genre et particulièrement la propension au voyeurisme, à une forme d’héroïsation des tueurs et/ou à une survalorisation d’un travail de police sans accrocs.

Mais de quoi parle-t-on au juste ? La nuit du 2 février 2012, Samantha Koening, dix-huit ans, est enlevée alors qu’elle travaille, seule, dans un kiosque qui sert des cafés à emporter. On est en Alaska, à Anchorage, et le moins que l’on puisse dire est que la police locale n’est pas réputée pour son efficacité. De fait, entre exploitation partielle des preuves à disposition et fausses pistes, il faudra du temps et une bonne part de chance pour mettre la main sur Israël Keyes… et découvrir au passage que celui-ci à sans doute semé bien d’autres cadavres dans son sillage.

Point de départ de l’ouvrage, l’enlèvement de Samantha Koening est l’occasion pour Maureen Callahan de parler d’Israel Keyes, bien entendu, et de son parcours. Des différentes forces de police qui le recherchent et, ensuite, cherchent à le faire parler, aussi.  Mais, surtout, derrière tout cela, c’est un bien sombre portrait de l’Amérique qui se dévoile, loin des métropoles, entre pauvreté, fascination pour les armes, survivalisme, intégrisme religieux. Dans ces marges géographiques, socio-économiques et morales évoluent d’inquiétantes créatures.

Ainsi il y a donc l’Alaska, un peu comme une ultime frontière, un lieu de tous les possibles où se croisent marginaux, personnes en quête d’une nouvelle vie que ce soit pour se réinventer ou pour fuir. Mais aussi une forme de carcan, une société en vase clos propice à l’émergence d’une caste dirigeante qu’il convient de ne pas brusquer, ni braquer… de quoi considérablement freiner le travail d’enquête lorsque les égos des uns et des autres entrent en jeu, à commencer par celui d’un procureur dont l’ambition est proportionnelle à la bêtise crasse.

Il y a ensuite l’énorme terrain de chasse que représentent les États-Unis pour Keyes, tueur errant qui les sillonne sans dormir, tuant dans un État, abandonnant les corps dans un autre en comptant moins sur sa propre intelligence que sur l’incapacité de la police à comprendre ce qui se passe. On voit des flics dépassés, pas toujours très compétents, des agents fédéraux en butte à leur administration…

Il y a enfin Israel Keyes lui-même, son enfance dans une communauté religieuse intégriste, adepte du survivalisme, égocentrique dénué d’empathie, moins malin que ce qu’il croit, mu par des pulsions certes, mais aussi par des objectifs qui demeurent un véritable mystère.

Le travail d’enquête de Maureen Callahan, extrêmement prenant – on se surprend à vouloir tourner les pages coûte que coûte – vient un peu égratigner les poncifs sur les tueurs en série et ceux qui les poursuivent, mais il est aussi une manière de faire le portrait d’un pays qui, s’il a su se faire détester d’une bonne partie de la planète, a aussi développé une étonnante capacité à fabriquer chez lui ses propres monstres déterminés à le dévorer un jour.  

Maureen Callahan, American Predator (American Predator : The Hunt for the Most Meticulous Serial Killer of the 21st Century, 2019), Sonatine, 2021. Traduit par Corinne Daniellot. 361 p.

Publié dans Essais, Noir américain

Commenter cet article