Un Indien qui dérange, de Thomas King
Thumps DreadfulWater a été flic dans une autre vie. Depuis, il a rejoint Chinook, près d’une réserve cherokee, et vit une vie simple et tranquille de photographe. C’est à ce titre qu’il d’ailleurs sollicité par la police pour venir prendre des clichés d’une scène de crime au Buffalo Mountain Resort, complexe de luxe et casino tout juste érigé avec l’aval du conseil tribal et qui doit ouvrir sous peu. Chassez le naturel… Thumps commence à fouiner. D’autant plus que Stick, le fils de sa bonne amie Claire et membre des Aigles rouges, un groupuscule d’activistes qui s’est opposé à la construction du complexe, est le premier suspect sur la liste du sheriff.
Il s’agira donc de mettre la main sur le coupable, de retrouver Stick qui s’est volatilisé après le meurtre, mais aussi de déterminer les mobiles qui ont poussé quelqu’un à tuer celui qui se révèle assez vite être l’un des informaticiens chargés de mettre en place le système de sécurité de l’hôtel-casino. Et, avec sa manière de mettre les pieds dans le plat, de se trouver toujours là où on voudrait qu’il n’aille pas fouiner, Thumps n’a pas fini de déranger.
C’est moins la trame de l’intrigue policière, assez classique, que le contexte dans laquelle elle se déroule et que les personnages qui font tout l’intérêt d’Un Indien qui dérange. Le ton qu’adopte Thomas King, aussi. À travers la figure de Thumps DreadfulWater, indien solitaire féru de golf et à l’humour corrosif, King joue avec les stéréotypes. Il n’épargne ni les racistes qui voudraient encore que les Indiens restent à leur place, ni les Indiens qui renient leurs racines par appât du gain ou ceux qui, au contraire, poussent tellement loin la revendication identitaire qu’ils en viennent à se caricaturer. On voit ainsi défiler toute une galerie de personnages hauts en couleurs et, sous le couvert de l’ironie, c’est une réflexion sur la place des Indiens dans l’Amérique contemporaine que propose Thomas King. Écartelés entre des traditions fortes et une société de consommation attirante par bien des aspects mais pour laquelle ils apparaissent soit comme d’encombrants vestiges d’un monde révolu, soit comme une quantité négligeable lorsqu’ils sont pauvres, ou encore, lorsqu’ils possèdent une richesse économique potentielle, comme des obstacles. Autant dire qu’il n’y a pas que DreadfulWater et son mauvais esprit qui dérangent.
Drôle et intelligent, Un Indien qui dérange est donc de ces polars qui, sous le vernis d’une enquête policière assez convenue, dévoile les rouages passionnants d’une société, dépayse, divertit et instruit le lecteur.
Thomas King, Un Indien qui dérange (DreadfulWater, 2002), Liana Levi, 2021. Traduit par Lori Saint-Martin et Paul Gagné. 294 p.