L’Eau rouge, de Jurica Pavičić
Le samedi 23 septembre 1989, Silva, 17 ans, part en soirée sur la plage de la petite ville croate de Misto, aux environs de Split. On ne la reverra plus jamais. Jakov et Vesta, ses parents, et surtout Mate, son frère jumeau, ne vont pourtant pas baisser les bras, et entretenir l’espoir de la retrouver. Leur monde s’est effondré ce jour-là et celui qui les entoure est secoué par les convulsions de l’histoire, de la chute du rideau de fer à l’entrée d’un pays neuf dans l’Europe en passant par la guerre de Yougoslavie. Poussière dans la grande histoire européenne en train de se faire, la disparition de Silva restera pourtant au cœur de leurs vies et même de celles de quelques autres, à commencer par Gorki Šain, premier officier de police chargé de l’enquête.
1989, 1990, 1991, 1995, 2001, 2004, 2005, 2007, 2008, 2012, 2015, 2016, 2017, Misto, Barcelone, l’Océan indien, la Suède, Toronto… Jurica Pavičić égrène le temps et les lieux sur les traces du fantôme qu’est devenu Silva, une ombre qui se fond dans un monde immense qui ne cesse de changer.
Car au-delà du drame intime d’une famille, c’est aussi celui d’un pays entier que raconte Jurica Pavičić : la guerre qui tue aussi certains enfants du village, le changement de régime et les règlements de comptes qui vont avec, l’entrée dans une mondialisation qui offre une forme de développement mais ouvre par ailleurs un boulevard aux mafias à travers notamment les transactions immobilières.
Le récit de la recherche de Silva apparait ainsi comme la colonne vertébrale d’un roman qui dépasse ce polar pour devenir celui d’une société soumise à des changements dont, en fin de compte, ce sont toujours les mêmes qui profitent. Le destin de Gorki Šain, policier d’un régime autoritaire avant de devenir agent immobilier au service d’investisseurs aussi troubles que puissants bien décidés à faire de Misto une nouvelle riviera illustre parfaitement ce mouvement.
L’histoire de la quête de Mate, inlassablement décidé à retrouver sa sœur suffirait à faire de L’Eau rouge un polar certes classique mais poignant. La manière dont Jurica Pavičić l’insère dans l’histoire de la Croatie de ces dernières décennies lui confère une autre épaisseur et en fait en plus de cela un roman noir aussi instructif que passionnant.
Jurica Pavičić, L’Eau rouge (Crvena voda,2017), Agullo, 2021. Traduit par Olivier Lannuzel. 384 p.