Nous avons les mains rouges, de Jean Meckert
Douze ans après les derniers titres parus, voici enfin un nouveau volume – le septième – dans la collection Arcanes des éditions Joëlle Losfeld qui poursuit donc la publication des textes de Jean Meckert.
Nous avons les mains rouges est à la fois un pur roman noir et une réflexion à chaud (paru en 1947) sur la Libération et l’épuration dans lequel Jean Meckert attaque de front les dérives et les ambigüités de la période.
L’histoire est celle de Laurent, libéré de prison après avoir purgé une peine de vingt-deux mois pour avoir tué un homme dans une bagarre, en état, dit-il, de légitime défense. Recruté à sa sortie par d’Essartaut, propriétaire d’une scierie dans la montagne, le jeune homme découvre vite que son patron, ancien chef de maquis, ses deux filles, Hélène et Christine, et leurs camarades continuent, deux ans après la Libération, à épurer la région. Embauché, de fait, pour les assister, il devient un pion dans un jeu qu’il peine à comprendre.
Jeté là, Laurent commence par s’accommoder de la situation : le grand air le requinque, la jeune Christine, muette et timide, lui plaît, Armand, l’autre employé de d’Essartaut, un mastodonte, le prend sous son aile… Mais d’une part, citadin et prolétaire, parachuté dans cette petite société rurale, Laurent peine à s’intégrer, et d’autre part, malgré son désir de trouver là un refuge, il se rend compte que la manière dont ses hôtes règlent les comptes non soldés en s’en prenant aux profiteurs de guerre ou aux anciens collaborateurs, forts de la conviction qu’on leur a confisqué la Libération, dissimulent une certaine petitesse derrière leurs grands idéaux.
Si Laurent se veut un homme libre, il désire aussi trouver un lieu qui l’accueille. Pour séduire Christine, pour l’amitié d’Armand, la reconnaissance de d’Essartaut, le respect d’Hélène, il s’engage aux côtés de ceux qui l’accueillent. Mais il ne peut éviter de se poser la question de la légitimité de leurs actions. Cette France libérée qui veut oublier, mais dans laquelle les tensions sociales et politiques sont fortes peut-elle accepter l’action directe que mène le groupe de d’Essartaut ? Dans quelle mesure ces vengeances sont-elles honorables ou justifiées lorsqu’elles semblent glisser vers le racket pur et simple ? D’Essartaut, le pasteur Bertod, tentent de trouver des justifications morales dont ne s’embarrasse pas Armand et qu’Hélène peut écarter d’un revers de main au nom d’idéaux plus élevés. Lucas Barachaud, lui, devenu élu communiste, plaide contre l’action directe.
« -Nous ne jouons pas ! dit Hélène. Nous nous mettons en entier dans une œuvre d’épuration dont ton parti qui se dit révolutionnaire aurait dû prendre la tête ! […]
-Non ! répliqua Lucas. Que vous soyez criminels au point de vue pénal, cela ne me fait ni chaud ni froid. Mais vous êtes des criminels civiques, avec votre action ! Vous allez contre la foi démocratique ! Toute terreur appelle un pouvoir fort et des lois d’exception ! C’est ainsi que le germe de tout fascisme se trouve partout et toujours chez les gens bien intentionnés qui veulent se substituer à la communauté ! »
Derrière les grands idéaux, la réalité, Laurent aura l’occasion de le voir, est plus complexe, moins belle, plus sale aussi. Et il n’y a pas que les salauds qui payent.
Jean Meckert, Nous avons les mains rouges, (présenté par Stéfanie Delestré et Hervé Delouche),Joëlle Losfeld, 2020. 311 p.