La chance vous sourit, d’Adam Johnson
On ne dira jamais assez combien la collection Terres d’Amérique des éditions Albin Michel fait un travail de première importance – et, on imagine, pas toujours récompensé à sa juste valeur – en persistant à publier des recueils de nouvelles. Genre dont on peut dire qu’il est pour le moins négligé dans le paysage éditorial français en dehors des opérations publicitaires estivales ou des compilations de textes vite torchés pour des publications à but caritatif.
La chance vous sourit, recueil de six nouvelles d’Adam Johnson, comme, par exemple, Braconniers, de Tom Franklin, ou Tout piller, tout brûler, de Wells Tower, vient pourtant prouver s’il en était encore besoin la puissance que peut avoir le texte court sans pour autant sacrifier à la complexité ou à la subtilité.
A priori, on a là un assemblage particulièrement hétéroclite. Nirvana, c’est l’histoire de cet ingénieur informatique qui veille sur son épouse paralysée. Elle écoute Kurt Cobain en boucle et lui communique avec l’hologramme d’un président mort assassiné. Ouragans anonymes se déroule après Katrina, en Louisiane, et s’attache au pas d’un livreur d’UPS qui vit dans son camion de livraison avec son bébé et cherche la mère de ce dernier. Dans Le saviez-vous ?, une femme atteinte d’un cancer du sein raconte sa famille qui semble vivre sans elle. George Orwell était un de mes amis met en scène, de nos jours, l’ancien directeur de la prison d’Hohenschönhausen, où la Stasi emprisonnait et interrogeait les opposants au régime, qui se trouve confronté au passé. Prairie obscure est l’histoire d’un pédophile qui tente de fuir ses démons. Et La chance vous sourit raconte la manière dont deux nord-coréens essaient de s’adapter à leur nouvelle vie à Séoul.
Le fil, ici, c’est en fait la manière dont les personnages se confrontent à la réalité, à ce qu’ils sont, à ce qu’ils étaient, à ce qu’ils sont devenus. Cela pourrait donner lieu à de pathétiques développements et, dans les pires des cas, a une forme de voyeurisme. Adam Johnson évite avec adresse et intelligence ce genre d’écueil. Ses personnages sont lucides, peu enclins à l’auto apitoiement, et l’auteur joue parfaitement avec leurs contradictions, les dilemmes qui les habitent et la manière dont ils tentent de s’en accommoder et, si ce n’est d’être meilleurs ou de toucher du doigt une certaine forme de bonheur, au moins de ne pas céder à une acceptation de leur condition qui finirait par devenir un renoncement. Tout cela est parfois cruel, dérangeant, bouleversant, souvent contrebalancé par un humour subtil, des détails qui rendent les choses un peu plus belles et glissent parfois imperceptiblement vers une forme de fantastique et de poésie.
Adam Johnson, La chance vous sourit (Fortune Smiles, 2015), Albin Michel, 2020. Traduit par Antoine Cazé. 308 p.