Le sourire du Scorpion, de Patrice Gain
En 2006, Tom et Luna, jumeaux de 15 ans, leurs parents et un ami de la famille, Goran, descendent en raft le canyon de la Tara, au Monténégro. Très vite, Mily, la mère, se montre inquiète, accablée par le pressentiment d’un drame à venir. Pour cette famille insouciante, habituée à une vie nomade et par bien des aspects aventureuse, c’est là quelque chose de très inhabituel. Mais de fait, très vite, l’excursion se transforme en calvaire et la mort finit par frapper. Dès lors, la vie de Tom, narrateur de cette histoire, va se déliter en même temps que monte le soupçon.
Difficile d’en dire plus sans trop en révéler sur l’intrigue de ce roman noir de Patrice Gain. Roman noir, roman intime sur le deuil aussi et qui s’inscrit certainement dans ce mouvement actuel qui cherche à déployer ces intrigues dans les grands espaces, du Monténégro, donc, au Causse du Larzac.
La première partie du Sourire du Scorpion, cette descente de la Tara qui, commencée sous les meilleurs auspices vire au drame est particulièrement prenante. Non seulement Patrice Gain sait peindre avec talent un paysage à la fois sublime et menaçant, mais il crée très habilement la tension jusqu’au drame qui vient clore l’excursion.
C’est après cela que, en ce qui me concerne, les choses se gâtent.
Sur la forme d’abord. L’écriture de Patrice Gain, au début de son roman s’avère plutôt séduisante, riche et évocatrice (même si l’on peut regretter l’emploi répété du terme « ruiniforme ») mais, peu à peu, elle tend à mon sens à s’enrichir jusqu’à rendre l’ensemble presque surécrit. Ce qui semblait couler naturellement au départ devient plus forcé et il faut bien dire que l’on peine à imaginer un adolescent de quinze ans (et même n’importe quel adulte, en fait) se lancer dans des répliques comme « Tu sais à quoi je pense, Luna ? Je crois que nous attirons les mauvaises ondes aussi sûrement qu’un paratonnerre la foudre. Depuis que nous sommes descendus dans ce maudit canyon, les malheurs s’enchaînent. Papa était notre électrode positive et notre camion rouge grappillait en chemin la joie et la douceur de vivre. » Si l’on arrive à passer dessus pendant un temps, l’accumulation des phrases de ce genre rend les dialogues pour le moins emphatiques.
Cela va de pair avec le fond. On l’a vite compris, la famille de Tom et Luna est une famille bohème, quelque peu hors du monde, et c’est d’ailleurs un élément essentiel à l’intrigue puisque cet isolement rend possible la machination à l’œuvre. Néanmoins, on peut aussi être gêné par la manière dont le prisme du regard de Tom rejette totalement le monde extérieur. Certes, le narrateur n’exprime pas forcément la pensée de l’auteur, mais la manière devenue assez habituelle, dont est systématiquement opposé un mode de vie nomade qui serait plus ouvert au monde à un mode de vie sédentaire et plus généralement à un « système » nécessairement confit dans ses certitudes et son rejet de ce qui est différent peut devenir lassant.
Si l’histoire est indéniablement prenante et que Patrice Gain, par ailleurs, se refuse en fin de compte à livrer le happy end attendu, on reste toutefois finalement partagé entre tout ce qui a pu nous plaire dans ce roman et ce qui, au-delà de l’écriture en elle-même dont on a déjà parlé, peut apparaître comme un certain manque de nuance.
Patrice Gain, Le sourire du Scorpion, Le Mot et le Reste, 2019. 208 p.