De bonnes raisons de mourir, de Morgan Audic
Joseph Melnyk est policier à Tchernobyl. Son travail consiste essentiellement à expulser de la zone ceux qui n’ont rien à y faire tout en essayant de ne pas allumer trop souvent son dosimètre dont les crépitements peuvent mettre les nerfs à rude épreuve. Ce jour-là, pourtant, il est appelé sur une scène de crime particulière : un groupe de touristes venu visiter les ruines de Pripiat et se payer une dose de frissons et de radiations a en effet découvert un corps mutilé accroché à la façade d’un immeuble. Il apparaît bien vite que cette affaire est particulièrement sensible. Non seulement de nombreux éléments macabres – mutilations très étudiées, présence d’animaux empaillés sur les lieux – laissent à penser que le tueur est très déterminé, mais de plus, l’identité de la victime, fils de Vektor Sokolov, ancien ministre qui a débuté sa carrière politique à Tchernobyl, confère à l’enquête une importance particulière. Sokolov, d’ailleurs, devenu un oligarque bien installé en Russie, embauche de son côté un autre enquêteur. Craignant qu’en pleine guerre du Donbass, la situation diplomatique entre l’Ukraine et la Russie vienne nuire à l’enquête et désirant que le tueur de son fils soit tué, il a recruté Alexandre Rybalko, vétéran de la guerre de Tchétchénie et policier moscovite de son état qui a la double particularité d’être né à Pripiat et d’être condamné par un cancer. Melnyk comme Rybalko vont vite s’apercevoir que le meurtre de Sokolov est lié à un double homicide qui a eu lieu à Tchernobyl au moment de l’explosion de la centrale en 1986 et que la victime n’est peut-être que la première d’une série.
Les amateurs de thriller trouveront sans doute leur compte dans le roman de Morgan Audic qui, en la matière, joue une partition attendue mais sans réelle fausse note. Toutes les cases sont cochées : un tueur aussi cruel que déterminé usant de symboles macabres et mystérieux – en l’espèce des animaux empaillés –, quelques scènes éprouvantes, quelques fausses pistes – dont l’auteur a toutefois le souci, et on l’en remercie, de ne pas les multiplier à outrance –, des personnages que tout oppose, Melnyk l’incorruptible et Rybalko qui n’a rien à perdre, obligés d’allier leurs forces, un méchant très méchant et un père de victime, Sokolov, qui n’a rien à lui envier.
Plus que pour cet aspect-là, finalement assez classique et peu surprenant, c’est bien le contexte qui confère à De bonnes raisons de mourir son originalité. Morgan Audic, en plaçant son roman dans les ruines de Tchernobyl use d’un décor qui exerce sur le lecteur une réelle fascination et, en le situant dans le contexte du conflit russo-ukrainien et de l’après Maïdan, donne à ses personnages et à leurs motivations une plus grande épaisseur et à leur enquête une dimension qui dépasse la simple traque d’un tueur en série. Audic crée une ambiance pesante et joue habilement de l’atmosphère étrange et glaçante de la zone de Tchernobyl, de ses ruines, de la manière dont la nature semble la reconquérir, de l’existence sur les lieux d’une population clandestine qui s’y cache et s’y livre à divers trafics. C’est incontestablement ce qui fait le sel de ce roman.
Thriller sans surprise, donc, mais qui sait jouer avec intelligence de son contexte géographique et géopolitique en n’en faisant pas qu’un décor de carton-pâte et en lui conférant une existence palpable à travers notamment une galerie de personnages secondaires intéressants, De bonnes raisons pour mourir se révèle être un roman de genre bien fichu que l’on lit sans déplaisir et même, souvent, avec un réel intérêt pour ce que dit Morgan Audic des tensions qui existent non seulement autour de l’exploitation de la zone de Tchernobyl, mais aussi entre la Russie et l’Ukraine et entre les diverses populations concernées. Une curiosité, donc.
Morgan Audic, De bonnes raisons pour mourir, Albin Michel, 2019. 491 p.