Le Cherokee, de Richard Morgiève

Publié le par Yan

Drôle de livre que ce Cherokee. On y entre, il faut bien le dire, un peu à reculons. On commence par repérer le nom du héros, le shérif Nick Corey, comme le salopard pervers qui fait la loi à Pottsville chez Big Jim Thompson. Il faut dire que l’écriture, que l’on dirait de prime abord tirée d’une vieille Série noire – ben tiens, pourquoi pas 1275 âmes – vient renforcer l’impression de se trouver dans un vieux polar. Si on ajoute que Nick Corey se trouve confronté à la fois au mystérieux atterrissage d’un avion de l’armée dont le pilote semble s’être volatilisé (un coup des martiens, ou des communistes ? se demandent les habitants de Panguitch, en ce mois de septembre 1954) et à un redoutable tueur en série surnommé le Dindon qui fait remonter de vieux souvenirs pas très agréables, on craint très tôt d’avoir affaire à un de ces thrillers français mal fichus qui se donnent un vernis d’exotisme à peu de frais en exportant leur histoire bancale en Amérique.

Il ne faut pas avoir peur (de toute façon, je suis en train de lire un roman de Joël Dicker, je n’ai peur de rien). Car très vite, on s’aperçoit que derrière ce premier voile, se trouve un roman bien plus profond, sorte de métafiction qui vient subvertir avec finesse la littérature de genre pour en faire un objet nouveau, inédit, qui ne cède pas à la facilité du simple pastiche. Richard Morgiève, en effet, sous les saillies – souvent drôles au deuxième degré – d’un Corey qui se fait parfois presque caricature de héros ambivalent de roman noir, infuse une vraie belle langue, une écriture poétique des sentiments qui n’exclue par ailleurs pas une certaine crudité, bref, de beaux moments de pure littérature (noire, blanche, grise, on s’en fiche).

Culpabilité, désir – de sexe, d’amour et de violence –, quête éperdue d’une certaine forme de rédemption émergent ainsi d’une intrigue parfois labyrinthique dans laquelle on prend un véritable plaisir à se laisser entraîner et parfois presque égarer, dans laquelle se croisent agents du FBI intègres ou pourris, indiens fantomatiques, ermites taciturnes, terroristes, femmes presque fatales… Tous ces motifs pourraient déboucher sur un patchwork agréable à l’œil mais sans liant. Morgiève en fait une œuvre propre non seulement à former un tout cohérent, mais qui vient aussi et surtout stimuler le lecteur et dont les phrases comme les personnages instillent longtemps dans son esprit.

Richard Morgiève, Le Cherokee, Joëlle Losfeld Éditions, 2019, 469 p.  

Publié dans Noir français

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M
L' exercice est réussi, j'ai envie de lire Morgiève. J'ai aussi lu Dicker !
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C
Mais comment peut-on entrer un peu à reculons dans un livre de Richard Morgiève. Non, non, on y plonge directement !
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Y
Je fais comme je veux ! Et le salto arrière, c'est tellement plus classe.