Des jours sans fin, de Sebastian Barry
Orphelin, Thomas McNulty a quitté son Irlande natale, ravagée par la Grande Famine, pour l’Amérique. C’est là que l’adolescent rencontre John Cole qui va devenir l’amour de sa vie. Engagés tous les deux dans le saloon de Titus Noone, ils se travestissent pour danser avec les mineurs qui, le temps d’une valse, ont l’impression de revenir à la civilisation. Les affres de la puberté, cependant, finissent par les mettre au chômage lorsqu’ils ne peuvent décemment plus passer pour des jeunes filles. Engagés dans l’armée, Thomas et John vont participer à la construction dans la violence de l’Amérique moderne. Des guerres indiennes à la Guerre civile, ils font couler le sang, versent le leur, sans jamais toutefois se quitter.
Récit à la première personne narré par Thomas McNulty lui-même, Des jours sans fin est un roman qui apparaît à la fois porteur d’une grande violence et d’une infinie tendresse. La violence, c’est celle des hommes, tous, sans exception, à commencer par Thomas :
« Chez les Irlandais, j’ai connu des assassins et les individus les plus doux, pourtant c’est les mêmes, un feu terrible brûle en eux, comme s’ils étaient juste la coque d’un fourneau. C’est ça, un Irlandais. Si on le met en rogne, même pour la moitié d’un dollar, il brûlera votre maison par vengeance. Il s’y emploiera jusqu’à crever du désir de vous nuire. J’étais pas différent. »
La violence, donc, irrigue tout ce roman. Il y a la guerre, bien entendu, racontée dans toute sa crudité. On y meurt parfois bravement, rarement d’une manière utile, on y perd des membres, on crève de maladie ou l’on se fait torturer. Les pages sur la détention de John, Thomas et leurs compagnons, dans la terrible prison confédérée d’Andersonville sont particulièrement éprouvantes. C’est cette violence qui forge la nation en construction mais aussi les hommes et les femmes dont parle Sebastian Barry. Elle enivre aussi, au point de croire parfois que l’on peut se réaliser par elle, et cela Thomas le dit sans ambages à plusieurs reprises.
La tendresse, elle, passe bien entendu par la relation de John et Thomas sur laquelle toute ambigüité est vite levée au détour d’une phrase : « On a baisé sans un bruit et on s’est endormis. » Ces deux-là, amoureux jusqu’au bout, vont même réussir à former une famille en adoptant la petite Winona, fille d’un chef indien enlevée à son peuple à l’occasion d’une bataille. Mais elle est aussi dans la manière dont se crée une fraternité d’armes entre le couple et une partie des soldats avec lesquels il a combattu. Elle débouchera même sur une forme de famille de substitution dans laquelle, cependant, la violence fera régulièrement irruption.
Tout cela, Sebastian Barry le dit et le montre à travers des scènes intimes émouvantes, de magnifiques envolées lyriques et des explosions de violence saisissantes qui ne l’empêchent cependant pas de faire de Des jours sans fin un roman optimiste et, à bien des égards, joyeux. C’est à travers cette sorte de paradoxe que ce livre arrive aussi à toucher au sublime.
Sebastian Barry, Des jours sans fin (Days Without End, 2016), Joëlle Losfeld Éditions, 2018. Rééd. Folio, 2019. Traduit par Laetitia Devaux. 295 p.
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