Des hommes en noir, de Santiago Gamboa

Publié le par Yan

C’est à Inzá, au sud de la Colombie, près de Cali, qu’une fusillade éclate en fin d’après-midi. Fusillade est d’ailleurs un doux euphémisme tant l’embuscade tendue à un convoi de 4x4 aux vitres teintées finit par prendre des allures de bataille rangée dans laquelle sont utilisés mitrailleuses, bazooka et même, pour clore les festivités, un hélicoptère de combat. Le genre d’événement qui, en général, ne passe pas inaperçu. Pourtant, personne n’a rien vu ni entendu, si ce n’est un enfant perché dans un arbre. Prévenu par un informateur anonyme, le procureur Jutsiñamuy décide d’enquêter sur les faits et d’envoyer pour cela une amie journaliste d’investigation, Julieta, et l’assistante de cette dernière, Johana, ancienne des FARC.

Ce que vont découvrir les deux femmes, c’est la présence sur les lieux de mystérieux hommes en noir (et d’une fille en maillot de bain). Si la guerre civile semble terminée, la violence n’a pas abandonné le pays. Guérilleros et sicaires ne chôment pas et parmi les employeurs potentiels, les Églises évangéliques qui se multiplient aussi vite que les petits pains quand Jésus va au restaurant sont assez courues.

Dans un récit tortueux et ponctué de digressions et de changements de points de vue, Santiago Gamboa propose rien moins qu’une radioscopie de la Colombie de la fin des années 2010. Un pays dans lequel la violence des narcos, des organisations paramilitaires et de l’État n’est pas qu’un lointain souvenir et continue d’infuser. Elle ne fait finalement que migrer vers de nouveaux groupes et persiste à prospérer sur le terreau des inégalités. Au point que les raisons qui ont poussé Johana à rejoindre les FARC demeurent tout à fait valables :

« Je me souviens que j’ai pensé : ce putain de pays où j’ai eu le malheur de naître est une cour d’exécution, une salle de torture, une presse mécanique pour étriper paysans, Indiens, Métis et Noirs. C’est-à-dire les pauvres. Les riches, en revanche, sont des dieux parce que c’est comme ça. Ils héritent fortunes et patronymes et se foutent complètement du pays, qu’ils méprisent. Mais qu’est-ce qu’il y a derrière tous ces noms élégants ? Un arrière-grand-père voleur, un arrière-arrière-grand-père assassin. Des pilleurs de ressources et de terres. Alors je me suis dit : je vais leur faire goûter du plomb à tous ces fumiers, c’est la seule chose qu’ils craignent ou qu’ils respectent. La seule qu’ils comprennent. Du plomb comme s’il en pleuvait, pour qu’ils apprennent. »

Les Églises succèdent ou cohabitent avec narcos et trafiquants de toutes sortes, des hommes et des femmes meurent tandis que des fortunes se créent. Parfois les faibles se rebiffent. Souvent, ils perdent.

Tout cela, Gamboa le dit avec humour et noirceur à travers des personnages hauts en couleurs. Surtout, et malgré une fin teintée d’amertume, il le dit avec un certain optimisme, une manière croire en un avenir meilleur. Pour tout cela Des hommes en noir apparaît comme un roman aussi âpre qu’enthousiasmant.

Santiago Gamboa, Des hommes en noir (Será larga la noche, 2019), Métailié, 2019. Traduit par rançois Gaudry. 364 p.  

Du même auteur sur ce blog : Perdre est une question de méthode ;

Publié dans Noir latino-américain

Commenter cet article