Aucune bête, de Marin Ledun

Publié le par Yan

Vera a 46 ans. Suspendue pour dopage pendant huit ans pour avoir pris le mauvais médicament au mauvais moment, elle revient ce jour-là à la compétition. La compétition ? De l’ultrafond. L’objectif : 240 kilomètres en 24 h. Un sport de soutiers, sans stars, sans les paillettes du sprint ni les quelques étoiles dévolues aux courses de fond.

« L’athlète femme d’ultra, on pouvait la croiser tous les jours dans la rue, au travail, dans une file d’attente à la CAF, dans la galerie d’un centre commercial, accrochée à un caddie, à la piscine municipale, sans jamais la reconnaître. Pourquoi ? Parce que personne ne vous l’avait jamais appris. Ni les magazines ni les annonces pour les clubs de fitness ou les réclames pour les produits de beauté. Encore moins les hommes.
Ce corps que les femmes comme Vera et Michèle avaient appris à apprivoiser, à rudoyer, à réparer, à dompter, à contraindre, au point de compter sur lui, là où le monde entier leur hurlait qu’il ne valait rien. Un jour, elles avaient décidé qu’elles étaient belles, fortes, puissantes et que vingt-quatre heures durant, vingt-quatre heures au moins, vingt-quatre ce n’était déjà pas si mal, après tout, elles devenaient maîtresses de leur destin
. »

Et de fait, pour Vera, ouvrière à la chaine dans une usine, mariée à un homme attentionné mais faible et mère de trois filles de neuf à vingt-deux ans, courir ce jour-là c’est se donner une chance de prendre sa revanche mais aussi de retrouver un semblant de liberté que la vie quotidienne semble parfois lui refuser. Rien, bien entendu, ne va se passer comme prévu dans cette novela éditée dans la collection Polaroid dirigée par Marc Villard aux éditions In8. Lily, l’aînée, ne revient pas après être allée rejoindre son petit ami. Michèle, la redoutable adversaire, professionnelle de la discipline, se révèle peu à peu être autre chose qu’une simple machine bien huilée et bâtie pour gagner.

L’espace de 24 heures de course, Vera va remettre en cause la place que la vie et la société lui ont assignée, relever la tête, retrouver une dignité dont elle estime qu’on la lui a en partie volée.

Tout cela Marin Ledun le dit sans pathos, car son héroïne n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort, mais avec justesse. Il dit aussi la souffrance des corps mis au supplice par la course et qui pourtant se libèrent. Enfin, il fait habilement monter la tension jusqu’à un dénouement inattendu, tragique en un sens, mais aussi cathartique. Un texte qui, outre quelques dizaines de minutes de lectures, donne à la fois à découvrir un monde à part, et à réfléchir.

Marin Ledun, Aucune bête, Éditions In8, coll. Polaroïd, 2019. 73 p.

Du même auteur sur ce blog : Les visages écrasés ; La guerre des vanités ; L'homme qui a vu l'homme ; Au fer rouge ; En douce ; Ils ont voulu nous civiliser ; Salut à toi, ô mon frère ; Mon ennemi intérieur ; Leur âme au diable ;

Publié dans Noir français

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B
bonjour Yan<br /> voilà l'écriture du Marin Ledun que j'ai découvert et que j'aime .Pour les novellas (pas assez mises a l'honneur) il est très fort. C'est simple facile à comprendre et pourtant toujours la mise à nu de personnages qui restent habillés .Encore une fois la fin !! c est agaçant vous avez toujours raison! bonne journée
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Y
Désolé !