Inconnu 89, d’Elmore Leonard
Unknown Man No. 89, avait été traduit en 1978, soit un an après sa parution, dans la collection Super Noire de Gallimard, par Henri Collard, sous le titre Homme inconnu n° 89. Il était très vite apparu comme l’un des meilleurs romans d’un Elmore Leonard au sommet de son art. Si je ne garde pour ma part pas un souvenir particulier de la traduction elle-même, je me souviens par contre très bien de ce que ce livre était en effet l’un des meilleurs d’Elmore. Peut-être sont-ce les bientôt vingt années passées depuis cette première lecture, ou bien la nouvelle traduction par Elie Robert-Nicoud, mais j’ai eu l’impression de découvrir un nouveau roman en lisant Inconnu 89 que viennent de publier les éditions Rivages. On ne peut que leur savoir gré de continuer à retraduire l’intégralité de la bibliographie d’Elmore Leonard et plus encore quand il s’agit comme c’est le cas ici de ses romans majeurs.
Si l’histoire en elle-même ne diffère pas foncièrement des thèmes habituels de l’auteur, tous les éléments s’y agencent avec une rare perfection. Nous avons donc Ryan, la quarantaine, qui, après avoir exercé une multitude de boulots, s’est lancé quelques années plus tôt dans une carrière d’huissier pour les tribunaux de Detroit. Flegmatique et efficace, il s’est fait là une réputation. Celle de pouvoir retrouver à peu près n’importe qui pour lui remettre une assignation à comparaître. C’est cela qui mène à lui un personnage douteux, Perez, qui lui demande de retrouver pour lui l’héritier d’une possible petite fortune en actions. Pas contre le fait de toucher une bonne commission, Ryan accepte ainsi de se lancer sur la piste de Bobby Lear, tout juste sorti de prison et qui a une fâcheuse tendance à dessouder ses amis. Au passage, Ryan va croiser le chemin de Denise, la femme de Lear, et envisager peu à peu de suivre un autre chemin que celui sur lequel l’a lancé Perez.
Je l’ai dit, il n’y a rien dans Inconnu 89 que l’on ne retrouve dans d’autres romans d’Elmore Leonard. Un héros dont le flegme apparent cache une grande détermination, des méchants cyniques qui se tirent la bourre et se croient plus malins qu’ils ne le sont, une femme qui, derrière une apparence de fragilité ou de détachement, se révèle très coriace. Mais tous ces éléments, ajoutés au sens du dialogue d’Elmore Leonard, à ses descriptions qui disent tant de l’état d’esprit de ses personnages et qui posent en quelques mots toute une ambiance… tout cela fait en quelque sorte d’Inconnu 89 une espèce de roman-témoin du style de Leonard. Il suffit de voir comment, dans ces quelques lignes qui ouvrent ce livre, il plante son personnage de Ryan :
« Un jour, un ami de Ryan lui avait dit : "Ouais, mais toi au moins personne vient te faire des emmerdes."
Et Ryan avait répondu à son copain : "Je sais pas, quand je vois où j’en suis, je me dis que peut-être je devrais les laisser venir."
Il y avait quelques années de ça. Ryan s’en souvenais comme d’une sorte de sonnette d’alarme, il avait décidé de se bouger le cul et de se tirer de là.
Sa sœur l’avait emmené à une vente aux enchères de voitures réformées de la police de Detroit, il avait acheté une Cougar 1970 blanc et bordeaux pour deux cent cinquante dollars. Sa sœur n’aimait pas la Cougar parce qu’il y avait quatre impacts de balles sur la portière du conducteur. Ryan avait dit que ça ne le dérangeait pas. Tu m’étonnes. Il adorait ça. »
Tout ça pour dire que si l’on ne devait lire qu’un seul roman d’Elmore Leonard – mais quelle drôle d’idée – ça serait certainement celui-ci.
Elmore Leonard, Inconnu 89 (Unknown Man No. 89, 1977), Rivages/Noir, 2019. Traduit par Elie Robert-Nicoud. 414 p.
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