Requiem pour une république, de Thomas Cantaloube

Publié le par Yan

Manchot mais tueur loin d’être malhabile, Sirius Volkstrom a toujours navigué en eaux troubles… après avoir frayé avec les collabos durant la guerre, opéré quelques barbouzeries en Indochine jusqu’à la chute de Dien-Bien-Phu, il continue de rendre service. En l’occurrence, c’est Jean-Pierre Deogratias, directeur-adjoint du préfet de police de Pairs, Maurice Papon, qui a besoin de lui en ce mois de septembre 1959. La mission est relativement simple. Un tueur, Lemaire, doit assassiner Abderhamane Bentaoui, un avocat algérien proche du FLN qui travaille dans la capitale. À Volkstrom de tuer ensuite le tueur pour effacer toute piste éventuelle qu’un policier trop zélé pourrait vouloir suivre. Pas de chance : Lemaire se fait la malle après avoir exécuté l’avocat, sa femme et ses enfants, le jeune ambitieux et opiniâtre inspecteur Luc Blanchard veut mettre la main sur l’assassin, et Antoine Carrega, ancien résistant et petite figure du Milieu, est aussi lancé sur la piste du tueur au nom de sa fraternité d’arme avec le père de la femme assassinée de Bentaoui.

Ainsi, de l’automne 1959 à la nuit du 17 octobre 1961, Thomas Cantaloube lance ses personnages dans les dessous sales d’une Cinquième République qui se construit en édifiant son propre tas d’ordures sur celui laissé par la précédente. Dans cet inframonde ou se côtoient politiques, hauts-fonctionnaires, exécuteurs de basses-œuvres et à l’occasion, une femme ou un homme honnête égaré dans ses méandres, les alliances sont mouvantes et tiennent moins à des convictions politiques qu’a des préoccupations plus terre à terre, des jeux de pouvoir et des liens tissés dans les périodes les plus sombres.

Tout cela, Thomas Cantaloube le montre en usant d’une fiction qui respectent les codes de ce genre particulier qu’est le roman noir politico-historique dont les meilleurs représentants restent – pour moi en tout cas – James Ellroy avec son American Tabloïd, James Grady avec La ville des ombres et Alberto Garlini avec Les Noirs et les Rouges. C’est tout à l’honneur de Cantaloube de venir s’y frotter et il est très intelligent de sa part de le faire en plongeant dans cette période de l’histoire de France particulièrement riche en turpitudes.

Aux côtés de personnages imaginaires – Carrega, Deogratias, Volkstrom, Blanchard, Margot… – bien campés et suffisamment complexes pour être crédibles, Thomas Cantaloube fait apparaître ceux plus ambigus encore, bien réels que l’on connaît. Papon, bien entendu, mais aussi des parlementaires retors et ambitieux comme le sénateur François Mitterrand ou le député Jean-Marie Le Pen ou – parce qu’il faut tout de même, parfois, des personnages positifs, le photographe de l’Humanité Georges Azenstarck. En s’immisçant dans les interstices que l’Histoire laisse dans l’ombre, l’auteur vient habilement imbriquer le romanesque dans les événements du temps, 17 octobre 1961, donc, mais aussi attentat du Strasbourg-Paris de juin 1961 ou encore attentat de l’observatoire.

C’est donc un solide premier roman, dense et prenant que publie là la Série Noire, et l’on est déjà curieux de voir ce que Thomas Cantaloube a encore sous le pied.

Thomas Cantaloube, Requiem pour une république, Gallimard, Série Noire, 2019. 541 p.

Publié dans Noir français

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