Rivière tremblante, d’Andrée A. Michaud
Deux ans après Bondrée, les éditions Rivages publient un nouveau roman d’Andrée Michaud (et, en parallèle, éditent en poche, de la même, Lazy Bird, paru initialement au Seuil). C’est peu dire qu’après le choc stylistique et l’ambiance oppressante de Bondrée, Rivière tremblante était très attendu de ceux qui étaient tombé sous le charme de la plume de la romancière québécoise.
Rivière-aux-Trembles est une petite ville isolée en rivière, donc, et forêt. C’est là qu’en 1979, Michael Saint-Pierre, douze ans, disparaît sous les yeux de son amie Marnie Duchamp. Incapable d’expliquer aux enquêteurs ce qui a pu se passer durant cet orage d’août qui a vu Michael s’évaporer littéralement, Marnie est montrée du doigt et surtout accablée par la culpabilité et son incapacité à savoir ce qui a bien pu se passer. Quand, trente ans plus tard elle revient sur les lieux de son enfance, elle ne s’est de toute évidence toujours pas remise de cet été d’enfance qui a à bien des égards brisé sa vie. Une autre vie brisée, en 2009, toujours à Rivière-aux-Trembles, c’est celle de Bill Richard, dont la fille de neuf ans, Billie, n’est un jour jamais rentrée de l’école. Deux âmes égarées, deux enfants volatilisés dont la présence constante dans les cœurs de ceux qui les ont aimés plus que tout pèse des tonnes.
Sur un thème très proche de celui de Bondrée, Andrée Michaud tisse un nouveau récit d’une rare puissance à propos du deuil ou plutôt de l’impossibilité de ce deuil qui est autant celui des êtres aimés que de celle ou celui que l’on a été dans les yeux du disparu et que son absence a emporté avec lui. Sur la culpabilité aussi. Sur ce que l’on aurait pu faire, ce que l’on aurait dû faire, sur ce que l’on voudrait pouvoir recommencer en évitant d’hypothétiques erreurs. Et enfin sur la marque que ce deuil et cette culpabilité laissent et offrent au regard des autres.
Il ne faut guère que quelques lignes à Andrée Michaud pour embarquer le lecteur :
« La nuit tombait sur Rivière-aux-Trembles. Dans le cimetière planté d’érables, mon père dormait dans le brouillard soulevé par le redoux des derniers jours, au terme duquel février couvrirait de nouveau le sol d’une couche de glace où se figeraient les cailloux et les bouts de branches sectionnés par le gel. Derrière le cimetière, sur la colline des Loups, stagnait un nuage dont la densité laissait croire qu’il pleuvait sur la colline, seulement là, au milieu des sapins noirs. Les derniers oiseaux du jour finissant lançaient des notes solitaires dans l’air saturé de silence, et moi, je demeurais immobile, à me demander que faire de cette sombre beauté coincée entre la mort et la proche obscurité. »
Une fois pris dans les filets du récit de Marnie, puis dans ceux de celui de Bill, difficile de se libérer de l’emprise des mots d’André Michaud et de ces deux histoires dans lesquelles elle nous amène nous embourber avec ses personnages. Le tout offre une beauté troublante et inconfortable et un roman d’une noirceur profonde qui joue bien moins sur l’action ou l’hypothétique résolution d’une ou plusieurs enquêtes que sur la manière dont les personnages se débattent avec d’envahissantes absences. Bref, encore une fois, André Michaud nous saisit.
Andrée A. Michaud, Rivière tremblante (2017), Rivages/Noir, 2018. 366 p.
Du même auteur sur ce blog : Bondrée ;