Ville noire, ville blanche, de Richard Price
Un soir d’été caniculaire, une jeune femme blanche hagarde traverse la cité Henry Armstrong de Dempsy, banlieue noire éloignée de New York. Il faudra plusieurs heures pour qu’enfin Brenda Martin explique ce qui lui est arrivé. Elle dit avoir été agressée alors qu’elle traversait en voiture le parc qui sépare Dempsy de Gannon, banlieue ouvrière blanche. Un homme noir l’a extrait de force de son véhicule avant de s’enfuir avec. Chargé de l’enquête, l’inspecteur Lorenzo Council, lui-même originaire de la cité Armstrong, ne peut se défaire de l’impression que Brenda Martin ne dit pas tout et s’aperçoit qu’entre silences et contradictions, le témoignage de la jeune femme se révèle très discutable.
Démarrant sur une trame assez commune de roman de procédure, Ville noire, ville blanche bascule assez vite dans tout autre chose ou, plutôt, prend une toute autre ampleur. Une révélation met en effet bien vite sous tension les deux villes voisines de Dempsy et Gannon. Tension que viennent encore alimenter la chaleur caniculaire et, surtout, les interventions musclées de la police.
Au milieu de ce tourbillon, Richard Price s’attarde sur trois personnages-pivots : Brenda Martin et Lorenzo Council, bien entendu, mais aussi Jesse Haus, journaliste pour un journal local à la recherche d’un scoop. Dans la cocotte-minute de Dempsy, entourés d’une nuée de personnages aux motivations diverses et parfois contradictoires, ces trois-là vont se faire les révélateurs des tensions sociales qui agitent une Amérique toujours divisée.
Pour autant, si, comme à son habitude, Price aime à remuer le couteau dans la plaie d’une société malade, il s’attarde aussi sur chacun de ses personnages, peignant ainsi une galerie de portraits psychologiques tout en nuances qui contraste avec la violente dichotomie de la société qu’il décrit. C’est là certainement la grande réussite de ce roman qui montre à quel point l’indéniable rupture qui existe entre les communautés ici décrites est néanmoins traversée par une multitude de liens plus ou moins lâches qui permettent de maintenir un semblant de paix sociale jusqu’au moment où s’accumulent trop les frustrations et les humiliations.
Tout cela Richard Price le dit avec une langue inventive et en prenant tout son temps. Rien de trépidant ici, mais une minutieuse descriptions des courants qui agitent les lieux et les personnages, des émotions et des faits bruts. L’espace de 600 pages fouillées, saisissantes parfois, toujours justes, l’auteur américain propose un roman d’une rare subtilité. Impressionnant.
Richard Price, Ville noire, ville blanche (Freedomland, 1998), Presses de la Cité, 1998. Rééd. 10/18, 2002. Traduit par Jacques Martinache. 620 p.
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