Comme des rats morts, de Benedek Totth
Le narrateur, Greg, La Bouée et Dany fréquentent le même lycée d’une ville hongroise. Ils sont par ailleurs tous les quatre des nageurs – water-polo pour La Bouée, sprint pour les trois autres – et ont tout un tas d’autres choses en commun : passion pour les jeux vidéo, pour le porno sur internet et pour les diverses drogues qui peuvent leur tomber sous la main. C’est au soir d’une soirée particulièrement riche en prises de diverses substances qu’on les rencontre sur le périphérique dans la puissante voiture qu’ils ont empruntée au père de Greg et avec laquelle ils renversent un cycliste avant de l’abandonner agonisant sur le bas-côté.
À partir de là, Benedek Totth entreprend de raconter le quotidien de la petite bande : on sèche les cours pour se défoncer en regardant du porno et en se faisant sucer par des filles peu farouches et souvent plus jeunes, on pisse dans l’eau de la piscine, on se dope avant les compétitions, on bizute les petits du club de natation… et au bout de tout ça, on s’ennuie toujours, ainsi que l’exprime le titre français du roman.
Et, au bout du compte, le lecteur aussi, tout de même. « Une sorte de Trainspotting à la piscine » nous dit l’éditeur qui précise par ailleurs que l’auteur a traduit en hongrois, Cormac McCarthy, Aldous Huxley, Hunter S. Thompson et Bret Easton Ellis, au cas où le talent se transmettrait par la grâce de la traduction. On peut aussi imaginer que Benedek Totth a regardé en son temps le Kids de Larry Clark ou le Doom Generation de Gregg Araki. Cela suffit-il à écrire un bon livre ? Pas sûr.
Longue litanie de scène du quotidien de ce groupe d’adolescents blasés qui cherchent à repousser sans cesse les limites de leurs expériences pour ressentir quelque chose de plus fort que cet ennui dans lequel ils s’embourbent, Comme des rats morts souffre certainement d’abord d’un manque évident de fil directeur de l’intrigue : le cycliste du départ sera vite oublié, une esquisse d’histoire de règlement de compte autour d’un trafic de drogue est rapidement abandonnée et la petite montée de tension qui intervient dans les cinquante dernières pages et mène à une ultime et violente transgression est malheureusement révélée dans le résumé de quatrième de couverture, tuant par avance tout suspense.
Cela donne en fin de compte un nouvel exemplaire de ces « roman-choc » que l’on nous annonce régulièrement et qui, ni par la forme ni par le fond, n’arrivent à dépasser – ou même à arriver à la cheville – de certains romans de Bret Easton Ellis ou, dans un genre un peu différent, du dérangeant Rafael derniers jours de Gregory Mcdonald. Pisser dans une piscine, contraindre des filles à des rapports sexuels, harceler des camarades, prendre de la drogue et casser des vitrines… tout cela est bien beau mais manque cruellement d’un semblant de réflexion en arrière-plan, si ce n’est un assez bateau : « les jeunes s’ennuient et sont tellement délaissés par leurs parents qui les abandonnent à internet qu’ils ont de plus en plus besoin de repousser les limites, quitte à se perdre et à devenir des bêtes sauvages et des personnes dénuées de toute empathie. ». C’est ce qui fait de Comme des rats morts une simple resucée de thèmes rebattus avec aussi peut-être une certaine complaisance pour les scènes les plus crues. Pas foncièrement mal écrit ni vraiment ennuyeux, le roman de Benedek Totth ne s’extrait clairement pas de la masse des romans et films de ce genre. On a fait pire certes, mais on a surtout déjà fait beaucoup mieux.
Benedek Totth, Comme des rats morts (Holtverseny, 2014), Actes Sud, coll. Actes noirs, 2017. Traduit par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba. 255 p.