Scalp, de Cyril Herry
Hans, neuf ans, a grandi avec Teresa, sa mère, dans une colocation partagée entre autres avec Stan, le père que Teresa avait choisi pour Hans et Jean-Loïc, celui que, d’une certaine façon, Hans s’était choisi. Stan a fini par se faire la malle, Jean-Loïc est mort, et Teresa révèle à Hans que son géniteur est en fait un autre. Alex est parti dix ans plus tôt sans même savoir que Teresa était enceinte et il vit aujourd’hui dans une yourte au bord d’un étang perdu dans une vaste forêt. Aujourd’hui Teresa décide donc, au moment de partir en vacances chez des amis dans l’Aveyron, de faire une halte en chemin pour que le fils et le père tenus neuf ans dans l’ignorance l’un de l’autre se rencontrent enfin.
À l’arrivée, la yourte est déserte. Désertée même, semble-t-il. Teresa voudrait repartir, mais Hans ne peut s’y résoudre. La perspective de voir enfin son vrai père et le fait que ce dernier soit un de ces aventuriers qui vivent dans la nature sauvage rend pour le garçon cette rencontre impérieuse. Il faut donc s’installer là, pour quelques heures ou quelques jours, dans l’espoir de l’hypothétique retour de l’homme libre, libéré des contingences sociales et de l’obligation de rester au même endroit qu’est Alex.
Mais dans les profondeurs de la forêt, sur les rives de l’étang, il n’y a pas que l’illusion de la nature indomptée, il y a aussi, toujours, les hommes et leur sauvagerie.
Roman noir relativement court, Scalp renferme en fait plusieurs livres.
Il y a bien entendu la quête de Hans. Celle du père dont il pressent ou espère qu’il sera à la hauteur de l’image du trappeur qu’il a eu le temps de se forger le temps de la préparation du voyage et le long du trajet. Celle aussi, chez cet enfant qui semble nourri aux récits d’aventure – on l’imagine volontiers lecteur de London, Twain, Rice Burroughs ou même heureux découvreur d’une vieille série de Rahan – d’une nouvelle vie, faite d’exploration et de trappe.
Il y a aussi le dilemme de Teresa, partagée entre l’appréhension des retrouvailles avec Alex, l’émotion à l’idée de revoir cet homme qu’elle a aimé et le désir d’offrir enfin à son fils un père, aussi imparfait puisse-t-il être.
Ce sont ces deux histoires entremêlées qui constituent, avec l’exploration des alentours du campement d’Alex la première grande partie du roman de Cyril Herry.
La seconde en constitue la suite, certes, mais aussi le basculement dans un autre récit. Celui de l’intrusion des hommes dans cette nature d’apparence sauvage. Les indices sont là depuis le début, de la carte satellite du Géoportail de l’IGN qui, lorsqu’on zoome, devient plan cadastral avec ses parcelles géométriques à la présence des épaves de voitures dans les bois en passant par les regards suspicieux que provoque l’excursion de la femme et de l’enfant au village. La civilisation est bien là, et les rencontres qu’elle réserve à Teresa et Hans leur montreront que c’est peut-être elle qui comporte la plus grande part de sauvagerie.
Roman intime, roman d’apprentissage et ode à la part d’imaginaire et de mythe que porte la forêt, Scalp est donc aussi un livre sur la manière dont les hommes, mus par cet atavisme qui les pousse à l’appropriation et par leur impérieux besoin de protéger ce qu’ils possèdent ou ce qu’ils voudraient posséder en viennent à devenir des prédateurs. Tout cela est dit par Cyril Herry avec plus de finesse que je ne le fais là, dilué dans un récit tout en tension sous les apaisantes descriptions de cette forêt faussement déserte et écrasée par la chaleur d’un été caniculaire. Ainsi Scalp apparaît comme un roman aux frontières d’un réalisme cru et pessimiste si ce n’est misanthrope et d’un imaginaire fondé sur les fantasmes ancestraux que transporte avec elle la forêt et qui en fait autant un refuge que le lieu où l’on peut disparaître sans laisser de traces. Tout cela en fait un roman riche et captivant.
Cyril Herry, Scalp, Seuil, Cadre Noir, 2018. 220 p.