Personne ne gagne, de Jack Black

Publié le par Yan

Thomas Callaghan, qui prendra plus tard le nom de Jack Black, né en 1871. Orphelin de mère et confié par son père à des bonnes sœurs chargées de son éducation, c’est au couvent qu’il rencontre par procuration la vie criminelle à travers les journaux et les récits d’un cocher ayant combattu du côté confédéré et fasciné par le gang des frères James. Ce que discerne le jeune homme derrière ces histoires, c’est moins la violence et les trahisons que l’intense liberté que doit procurer cette vie à la marge. Il est encore un adolescent mal dégrossi lorsqu’il quitte Kansas City, où il a rejoint son père à l’âge de quatorze ans, pour épouser la vie de ces hobos qui traversent l’Amérique du Nord dans des trains de marchandises. Menus larcins et arrestations pour vagabondages finissent par lui faire rencontrer la confrérie des Johnsons, voleurs au code d’honneur strict fondé sur l’entraide, et rejoindre les yeggs, cambrioleurs et perceurs de coffres.

C’est un Jack Black rangé, devenu archiviste pour un journal de San Francisco qui, en 1926, écrit ces mémoires contant trente années faites de coups réussis parfois, bien plus souvent avortés, d’amitiés indéfectibles et de trahisons, d’addiction à l’opium et, bien entendu, de quinze années de prison, du Canada à Folsom.

Il y a une incontestable modernité dans le récit de la vie de Jack Black. Le talent de conteur de l’auteur, n’y est pas pour rien, mais surtout Black se refuse aux regrets comme aux remords sans pour autant nier ses propres méfaits et ses erreurs. Son regard sur la prison, qu’il a connu intimement à un moment où les prisonniers ont encore droit au fouet ou à la camisole de force, est aussi résolument moderne, et son texte « Qu’est-ce qui cloche chez les honnêtes gens ?», en annexe de l’ouvrage vient encore éclairer son propos. Enfin, dans un monde extrêmement balisé, Personne ne gagne apparaît comme une immense ode à la liberté et – comme l’indique clairement son titre – à ce qu’il peut en coûter de vouloir la vivre pleinement.

Mais au-delà de ce que ce livre peut avoir d’édifiant, on trouvera surtout un formidable récit d’aventures et comme un gamin lisant Dumas ou London, on est embringué dans la vie de vagabond de Jack Black. On pénètre ainsi les « conventions » de hobos, on suit le cambrioleur paralysé, la main sous un oreiller pour subtiliser un portefeuille en écoutant la respiration du dormeur, on rencontre avec lui la communauté chinoise, son code d’honneur et ses fumeries, on découvre les receleurs et les arrangements avec la justice, plus ou moins aidés par le parasite du yegg qui se respecte, l’avocat : « Je n’étais qu’un pauvre voleur, un honnête voleur, à la merci d’un avocat de grand chemin ». Bref, on se laisse embarquer par le récit aussi enlevé qu’instructif de Jack Black et c’est un immense plaisir.

Jack Black, Personne ne gagne (You can’t win, 1926), initialement paru en 2008 sous le titre Yegg aux éditions Les Fondeurs de Briques,  Monsieur Toussaint Louverture, 2017. Traduit par Jeanne Toulouse et Nicolas Vidalenc. 470 p.

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C
Les Fondeurs de Briques avaient fait un superbe travail en le publiant et bien joué à Monsieur Toussaint Louverture de remettre ce graaaaand livre à l'honneur
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