Irezumi, d’Akimitsu Takagi
C’est un vieux polar japonais (1951), que les éditions Denoël ont exhumé avec cet Irezumi d’Akimitsu Takagi. Vieux polar mais aussi véritable curiosité que cette histoire qui met à la sauce nipponne le motif très classique du mystère de la chambre close.
Salle de bain close, en l’occurrence, puisque c’est dans une pièce d’eau fermée de l’intérieur que sont retrouvés les membres et la tête découpés d’une jeune femme dont le tronc a pour sa part disparu. C’est que l’envoutante Kinué Nomura portait un magnifique tatouage intégral – l’irezumi du titre – œuvre de son père, célèbre maître tatoueur. Son corps, ou à tout le moins ce qu’il en reste, est retrouvé par deux admirateurs aux motivations différentes : Kenzô Matsushita d’une part, jeune étudiant en médecine tombé sous le charme de Kinué, et le docteur Heishirô Hayakawa, collectionneur de tatouages, achetant les œuvres sur pied à leurs propriétaires en attendant de pouvoir les récupérer à leur mort. Alors que d’autres meurtres suivent celui de Kinué, Kenzô, frère de l’inspecteur chargé de l’enquête, tente maladroitement de trouver le coupable parmi les suspects, jusqu’à faire intervenir son ami, le génial Kyôsuke Kamisu.
Rien que de très classique donc : des meurtres aux motivations assez peu troubles – vengeance et appât du gain, sans doute –, des policiers dépassés par les circonstances des assassinats sur lesquels ils enquêtent, un candide décidé à découvrir la vérité et un Sherlock Holmes en herbe. Ce qui fait l’originalité d’Irezumi, au moins pour le lecteur occidental assez peu familier du Japon, c’est bien la manière dont Akimitsu Takagi mêle cette trame très britannique à la société japonaise, à ses tabous – et la manière dont il décrit la perception du tatouage, entre fascination et rejet viscéral est ici passionnante – et à l’atmosphère délétère des années qui suivent immédiatement les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki et la reddition japonaise. Ainsi voit-on Kyôsuke Kamisu développer des trésors d’ingéniosité pour lever le mystère de la pièce close, tout en effectuant une analyse psychologique des suspects fondée essentiellement sur des préjugés inhérents à la façon dont est censé se comporter un Japonais et sur la façon dont ils jouent au go ou au shôgi.
Cela donne un roman plaisant, pas dénué par ailleurs d’une pointe d’humour bienvenue, à la fois un peu désuet en ce qu’il colle au plus près à la trame classique du whodunit à la Conan Doyle et éminemment moderne dans sa manière d’analyser la société. Ce point de vue particulier sur la société japonaise de l’époque n’est d’ailleurs pas la moindre de ses qualités. Bref, il s’agit là, au moins pour le lecteur comme moi assez inculte en ce qui concerne la littérature et les mœurs nipponnes, d’une fort agréable lecture dont le décalage ne laisse pas d’étonner.
« -Est-il arrivé quoi que ce soit de particulier ce jour-là ? Malaise d’acteur, changement de distribution, abandon de scène, trou de mémoire…
-Je n’y ai pas vraiment prêté attention, mais… je me souviens qu’il y a eu du chahut à la fin du deuxième acte, car quelqu’un s’est suicidé en se jetant du deuxième balcon, et le troisième a commencé avec un peu de retard.
-Je vois. Quelle tenue portiez-vous ce jour-là ? »
Akimitsu Takagi, Irezumi (Shisei Satsujin Jiken, 1951), Denoël, 2016. Traduit par Mathilde Tamae-Bouhon. 291 p.