Banditsky ! d’Andreï Constantinov
Sous-titré Chroniques du crime organisé à Saint-Pétersbourg, cet essai du journaliste Andreï Constantinov fait partie des livres qui ouvrent la nouvelle collection des éditions La Manufacture de Livres intitulée Zapoï, et consacrée à la fiction et aux essais traitant de la Russie contemporaine depuis la fin de la Guerre froide.
Banditsky ! donc, offre un portrait aussi précis que possible de la manière dont s’organise le crime dans la deuxième ville de Russie, des années 1990 à nos jours. Surtout il sort des clichés sur les Vory v Zakone, les Voleurs dans la loi, véhiculés en grande partie par la presse occidentale et le cinéma américain, et qui sont présentés ici – hors de leurs bases moscovites – comme une engeance un brin méprisable arborant un code d’honneur que l’intégration du crime dans la société post-soviétique oblige de toute façon à bafouer. Place donc aux Bandits, tout aussi redoutables, au fond, mais qui ont su au fil des décennies lisser leur image et même à leur manière devenir des piliers de la société. De là un entremêlement entre crime organisé, notabilité locale, responsables politiques et policiers, au point de voir apparaître des bandes, des krycha, dites zébrées « une bande noire pour le milieu, une rouge pour la police », avec tout ce que cela peut avoir de cocasse :
« En 1998, le premier adjoint du Département anti-criminalité est poussé à la démission après son apparition dans une vidéo au mauvais endroit avec les mauvaises personnes. Son supérieur hiérarchique, le directeur en personne, le suit dans la foulée. L’enquête a révélé un fait piquant : il était possible d’enregistrer et de domicilier son entreprise commerciale au numéro 30 de la rue Tchaïka, c’est-à-dire au siège même du Département anti-criminalité… »
Après avoir ainsi décrypté les rouages du crime organisé, les luttes d’influences et les collusions, Constantinov dresse une galerie de portrait de figures du crime Pétersbourgeois et en particulier la retranscription après interview du parcours de Vladimir Koumarine, un des derniers grands patrons du crime après qu’il se soit, selon toute probabilité, débarrassé de son adversaire Kostya-la-Tombe. Et de finir sur une note oscillant entre nostalgie et inquiétude en décrivant la manière dont ce crime organisé « historique » cède la place dans les années 2000 à une autre forme de mainmise sur l’économie du racket et des sociétés marrons menée cette fois par les fonctionnaires de l’État, la police et les politiciens bien en cour au Kremlin.
Tout cela fait de Banditsky ! un document incontestablement intéressant et parfois même enlevé sans pour autant susciter un enthousiasme débordant. Si Constantinov suscite un véritable intérêt lorsqu’il conte quelques anecdotes particulièrement originales ou explique le fonctionnement des krycha (la palme pour la description de la montée en puissance des Tatars de Kazan) son style froid et même souvent plat (encore que l’on puisse peut-être incriminer aussi dans cette fadeur une traduction surprenante, du bandit faisant le « piquet de grue » aux « biathlonistes » en passant par quelques constructions grammaticales assez libres), rend parfois la lecture laborieuse. C’est d’autant plus dommage qu’il y a aussi dans cet essai – et malgré la position parfois ambigüe de Constantinov qui accepte pour mieux connaître son sujet de se faire utiliser par les bandits au risque peut-être de se faire manipuler – un vrai travail de démystification de la « Mafia russe » telle qu’on nous la présente. Un monde où, si la pression existe, elle s’appuie plus sur le chantage que, ainsi que le véhicule souvent la fiction, sur le meurtre, vu comme une action bien trop compliquée à mettre en place et éventuellement contre-productive et que l’on utilise donc avec parcimonie et souvent d’ailleurs au sein même de la bande plutôt que contre une autre organisation. À réserver aux curieux, donc.
Andreï Constantinov, Banditsky !, La Manufacture de Livres, Zapoï, 2016. Traduit par Vincent Deyveaux. 252 p.