2016, l'heure du bilan
2016 touche à sa fin et il est toujours bon de revenir sur les livres de cette année, ne serait-ce que pour s'apercevoir que certains qui nous ont enthousiasmé sur le moment ont déjà été oubliés, tandis que d'autres, abordés parfois avec un peu de circonspection ont fait leur chemin, ont infusé des semaines durant et demeurent bien plus présents. Pour se rappeler aussi de quelques cruelles déceptions.
105 livres chroniqués cette année, c'est, si je ne m'abuse, bien moins que les années précédentes, pour diverses raisons, essentiellement professionnelles. Néanmoins, cela peut avoir de bons côtés aussi. Moins de temps de lecture, c'est aussi faire des choix et donc laisser tomber les livres dont on pense qu'ils risquent de ne pas plaire. Du coup, j'ai certainement lu plus de romans plaisants.
Mais plaisant ne voulant pas forcément dire inoubliable, même parmi ceux-là, un certain nombre a fini aux oubliettes.
Une fois n'est pas coutume, louons la qualité des romans des éditions Asphalte. Audacieuses, dénicheuses de talents, elles ont encore fait fort cette année. On retiendra en particulier le très beau et sombre J'ai été Johnny Thunders, de Carlos Zanón, et le plus léger - à sa façon en tout cas - mais tout aussi surprenant et agréable Société Noire d'Andreu Martín, deux catalans qui excellent dans le noir et dans le portrait sans fard de Barcelone.
Côté français, on attendait avec impatience les nouveaux romans de Franck Bouysse et Marin Ledun. Le premier ouvrait l'année avec Plateau (La Manufacture de Livres, Territòri) qui a certainement moins fait l'unanimité que Grossir le ciel, mais qui m'a séduit tant par son écriture que par quelques beaux portraits de personnages à la dérive. Le second, avec En douce (Ombres Noires), signe un roman ramassé et percutant sur le déclassement et la façon dont on peut en venir à se haïr et à haïr les autres pour ce que la société nous fait subir. Toujours en France, deux romancières ont offert de beaux romans. Anne Bourrel, avec L'invention de la neige (La Manufacture de Livres), huis-clos et drame psychologique étouffant, et Sandrine Collette avec un roman noir des grands espaces d'une rare violence et d'une rare beauté, Il reste la poussière (Denoël).
Et puisqu'on parle de femmes, comment ne pas évoquer le monumental La femme qui avait perdu son âme, de Bob Shacochis, à la fois roman d'aventures, roman d'espionnage, roman historique et roman intimiste que les éditions Gallmeister ont eu l'audace de publier. Et, dans un tout autre genre, un roman noir porté par une langue sublime et un travail d'écriture qui rend son histoire ensorcelante, Bondrée, de la canadienne Andrée A. Michaud, aux éditions Rivages.
Rivages et Gallmeister qui ont par ailleurs saisi l'essence du noir dans deux romans de jeunes auteurs talentueux : J. David Osborne et son déstabilisant Que la mort vienne sur moi, et Jon Bassof et le violent et fascinant Corrosion.
Côté noir percutant et étonnant, on citera par ailleurs le retour de Larry Fondation aux édition Tusitala avec Effets indésirables, fragments de vie qui saisissent le lecteur et chez les toutes jeunes éditions Agullo le polar politique roumain Spada, de Bogdan Teodorescu, farce cynique sur les médias et le monde politique. Autres bonnes surprises, Les maraudeurs, de Tom Cooper, jeu de massacre dans le bayou qui ne manque pas de sel, chez Albin Michel et La nuit derrière moi, bouleversant et diabolique roman noir de Giampaolo Simi, chez Sonatine.
Et puis il y avait les retours attendus. Ron Rash et son Chant de la Tamassee, toujours aussi subtil et beau, tout comme Tim Gautreaux et Fais-moi danser Beau Gosse, poignante fresque familiale dans la Louisiane dévastée des années suivant le choc pétrolier, tous les deux au Seuil. On attendait aussi impatiemment le nouveau Giancarlo de Cataldo. Il est arrivé, coécrit avec Carlo Bonini, et n'a pas déçu : Subbura, et sa suite Rome brûle, aux éditions Métailié, dressent un portrait pour le moins baroque de la pègre et de la classe politique romaines des années Berlusconi et suivantes, où tout change sans que rien ne change vraiment. Bien entendu, le plus attendu des romans noirs de l'année était Cartel, de Don Winslow (Seuil), suite du culte La griffe du chien. Attendu et redouté tant Winslow semblait s'égarer de plus en plus dans des romans sans consistance depuis quelques temps. S'il ne surprend pas, il ne déçoit pas non plus et livre là un sacré bouquin, imposant et saisissant.
Pour en finir avec les romans marquants de cette année, une lecture bien tardive d'un vieux livre des éditions Rivages : Les enfants de Dracula, de Richard Lortz. S'il n'est plus disponible aujourd'hui, il est trouvable d'occasion et je ne peux que vous inciter à vous le procurer. C'est un petit chef-d'œuvre du genre, et un livre qui vous poursuit longtemps après.
Marquants aussi, mais pour d'autres raisons, Bull Mountain, de Brian Panovitch, chez Actes Sud, banale resucée des thèmes du roman "rural" tel que portée par Woodrell qui semble avoir été écrit avec un manuel du parfait écrivain. Ça manque cruellement d'âme malgré un départ prometteur. Pukhtu Secundo, de DOA (Série Noire), enfin. Attendu après un premier volume très réussi, ce roman s'embourbe dans des histoires peu crédibles avec d'assez dérangeants portraits de femmes, éternelles victimes, incapables d'écouter les hommes, ce qui, les mène bien entendu à leur perte.
Voilà donc le - long - bilan de l'année, sans préjuger d'ailleurs des livres sortis en 2016 et que je n'ai pas encore eu l'occasion de lire. En attendant, meilleurs vœux de bonnes lectures pour 2017.