Société noire, d’Andreu Martín
Quand une tête est retrouvée sur le toit d’une voiture, même à Barcelone dans le quartier de Sants, ça fait désordre. Quand le reste du corps commence à se balader accroché à une boule d’attelage, ça devient carrément gênant pour la police. Les mossos d’Esquadra, la police catalane, penche pour un crime de mareros car les gangs latinos font depuis quelques temps leur nid à Barcelone et les maras salvadoriennes commencent à débarquer en Catalogne. De son côté, l’inspecteur Cañas pencherait plutôt pour les Chinois. Dans une région dont les dettes consécutives à la crise économiques sont épongées en partie par des capitaux chinois, où fleurissent les ateliers clandestins et où le port de commerce est en train de devenir le plus grand de la Méditerranée, les Triades s’implantent et n’aiment pas qu’on leur marche sur les pieds. Justement, un mois plus tôt, un indicateur de Cañas, Liang, a commencé à infiltrer pour son compte une de ces sociétés noires… au risque d’être tenté de faire cavalier seul.
Excursion dans une Barcelone interlope dans laquelle se croisent les mafias du monde entier attirées par le miracle économique un peu boiteux de la Catalogne et un port immense qui facilite tous les trafics, Société noire n’est pas pour autant un essai sur le crime organisé. Au contraire, Andreu Martín joue avec les fantasmes que peuvent provoquer maras et triades, sur les stéréotypes, et, d’une certaine manière, se plaît à les prendre à contrepied. Ainsi en va-t-il de la savoureuse description du cheminement de la rumeur qui fait des Chinois les auteurs du meurtre qui ouvre le récit et plus encore de celle des mareros barcelonais « de souche » issus de la classe moyenne aisée.
Surtout, Martín nous propose de rencontrer deux personnages hauts en couleurs. Juan Fernández Liang, d’abord, sino-catalan adepte des arts martiaux et bien décidé à devenir plus chinois que n’importe quel chinois, porté par des rêves certainement trop grands pour lui et affligé en la personne de Pardales, escroc de bas étages raciste et misogyne, d’un boulet particulièrement pesant. L’inspecteur-chef Diego Cañas ensuite, bon flic a priori mais dépassé par sa fille adolescente rebelle et fugueuse et qui se retrouve sur la corde raide, partagé entre l’envie de résoudre l’affaire dont il n’est pas chargé et de trouver un exutoire à la rage qu’il ne veut pas déverser sur sa famille.
Tout cela nous donne un roman extrêmement rythmé, bourré d’humour et d’action et doté d’un arrière-plan social et politique intéressant. C’est peu dire que l’on prend plaisir à lire cette histoire échevelée.
Andreu Martín, nous dit l’éditeur de Société noire, a déjà publié en France dans les années 1980, à la Série Noire, deux romans. On risque bien d’aller voir de ce côté-là aussi. Parce que s’ils sont aussi bons que le roman que publient les éditions Asphalte, il y a sans doute de quoi s’amuser.
Andreu Martín, Société noire (Societat Negra, 2013), Asphalte, 2016. Traduit par Marianne Million. 315 p.
Du même auteur sur ce blog : Prothèse ;