Les enfants de Dracula, de Richard Lortz

Publié le par Yan

« Il existe ainsi, à Bedford-Stuyvesant, aux marges de Black ou Spanish Harlem, des quartiers entiers de ces bâtiments sinistres, parfois des kilomètres de ces rues ravagées. Vues de loin, une nuit de pleine lune par exemple, ils ont la beauté lugubre et spectrale de Berlin, ou de Dresde après l’apocalypse.

Plus loin dans le haut de la rue, les immeubles ont des portes, et même des vitres à presque toutes les fenêtres ; sinon de vraies vitres, au moins des panneaux de plastique, de contreplaqué ou de carton – tous les matériaux imaginables pourvu que ces protections de fortune empêchent la pluie d’entrer.

C’est que des gens sont venus habiter là. Des fractions d’êtres pour commencer – à demi vivants, à demi morts, aux deux tiers d’un autre monde. […]

Bizarrement, c’est l’état de la tuyauterie qui fait la différence. Que la chasse d’eau fonctionne, qu’on puisse remplir un verre ou une bassine au robinet, et on a un chez-soi. À tout le moins, quelque part où mourir. »

C’est dans ce New York ravagé des années 1970 qu’un soir d’été une femme se fait agresser et littéralement dévorer dans Central Park par une bande de préadolescents. Et c’est l’occasion pour Richard Lortz de plonger le lecteur dans le monde de ces enfants, un quartier aux marges de Manhattan où semble s’entasser toute la misère du monde. Ou plutôt un lieu où on l’a reléguée. Ainsi chacun des chapitres centraux du roman est centré sur l’un de ces enfants tueurs, sur son monde, sa famille, et surtout sa solitude dans un monde où l’autre, voisin, père, mère, frère, représente un danger potentiel.

À travers ce portrait âpre et violent d’un lumpenprolétariat qui s’entredéchire et que l’on contient à l’écart du reste de la société, Lortz, en utilisant quelques ressorts du fantastique pour mieux filer sa métaphore, montre comment on fabrique des monstres et comment on ne les découvre que lorsqu’ils se décident à sortir de la réserve dans laquelle on les pensait parqués.

D’ailleurs, si leurs actes ne font que s’ajouter à la violence du quartier, à partir du moment où ils vont déborder sur les territoires où ils ne devraient pas se trouver, les autorités useront des moyens les plus expéditifs possibles.

Puissant roman de critique sociale, Les enfants de Dracula est aussi une magnifique œuvre littéraire violente et poétique, crue et empathique qui profite d’une très belle traduction de Marie-Françoise Husson. Autant dire qu’il s’agit là d’un classique qu’il convient de (re)découvrir.

Richard Lortz, Les enfants de Dracula (Children of the Night, 1974), Crapule Production, 1989. Rééd. Rivages/Noir, 1993. 172 p.

Publié dans Noir américain

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M
Je note! J'en frissonne de peur et d'impatience!
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Y
Ce bouquin est génial.
T
Ah, là, je note de suite !
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