Malerba, de Carmelo Sardo et Giuseppe Grassonelli

Publié le par Yan

Détenu depuis 1992, Giuseppe Grassonelli purge une peine à perpétuité pour avoir assassiné un certain nombre de membre de Cosa Nostra – il est soupçonné au total d’une trentaine de meurtres. Pour autant, Grassonelli n’est pas un justicier. Certes, son entrée dans la violence aurait eu pour détonateur le meurtre par la Mafia de membres de sa famille, dont son grand-père, à Porto Empedocle en 1986. Mais Grassonelli était depuis longtemps sur la mauvaise pente et sa famille, communiste, athée, opposée à la puissante Cosa Nostra autant qu’à l’État avait semble-t-il intégré un autre réseau criminel qui a fini par se voir attribuer le nom de Stidda.

L’autobiographie en général est un genre que l’on appréhende avec prudence. L’auteur, bien entendu, ne livre jamais que ce qu’il accepte de dévoiler et, aussi honnête que puisse être sa démarche, la mémoire est fluctuante, les souvenirs se reconstruisent. Quand il s’agit de criminels, la prudence est encore plus de mise ; l’auteur peut vouloir minimiser ses actes, rejeter la culpabilité sur quelqu’un d’autre – la société peut avoir, à tort ou à raison, bon dos pour cela, et il y a peu de chances qu’elle fasse un procès – ou au contraire vouloir en rajouter lorsqu’il s’agit de ce qu’il considère comme des titres de gloire, à commencer par les conquêtes féminines.

C’est nécessairement ainsi que l’on aborde Malerba et en particulier son premier chapitre de la plume de Giuseppe Grassonelli dédié « À mon ennemi ». Et puis, bien vite, on s’aperçoit que le personnage qui compte sa vie entre les chapitres assumés par Grassonelli n’est pas Giuseppe mais Antonio. Ce qui n’empêche pas Grassonelli qui écrit clairement depuis sa prison, qui conte son quotidien d’enterré vivant et livre ses états d’âmes, de commenter à la première personne l’histoire et les actes d’Antonio. Il y a certainement dans cette manière de romancer les faits passés une volonté de ne pas prêter le flanc à d’éventuels recours en justice, mais aussi et surtout une façon pour Giuseppe Grassonelli de se détacher de celui qu’il a été pour l’analyser d’une manière non pas plus froide, mais, paradoxalement, plus objective, même si cette notion ne peut rester que relative, à tout le moins en ce qui concerne les actes même, Grassonelli cherchant évidemment à les minimiser.  

Et puis, grâce à cela, se dévoile derrière l’histoire de vengeance, derrière le portrait d’une société à la fois archaïque sur le plan des mœurs et des coutumes et moderne sur le plan de la criminalité organisée et des réseaux, une réflexion profonde sur le cycle de la violence, sur la culpabilité, sur l’amitié et la confiance… sur l’obéissance à des règles que l’on se forge soi-même et que Grassonelli vit dans sa chair, lui qui a toujours refusé de parler à la justice, y compris sur des faits avérés et recoupés. C’est une drôle de morale qui se dessine là, mais qui en vaut bien d’autres.

Carmelo Sardo et Giuseppe Grassonelli, Malerba (Malerba, 2014), Éd. J.C. Lattès, 2015. Rééd. Le Livre de Poche, 2016. Traduit par Nathalie Bauer. 447 p.

Publié dans Noir italien, Essais

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