Hôtel Europa, de Gianni Pirozzi

Publié le par Yan

Premier roman de Gianni Pirozzi édité par Rivages, Hôtel Europa fait suite à Romicide, initialement publié chez Coop-Breizh et que Rivages reprendra quelques années plus tard.

On retrouve donc les deux personnages principaux créés par Gianni Pirozzi : Rozenn, le lieutenant de police borderline, et surtout Augusto Rinetti qui, après avoir joué les gardiens d’aire pour gens du voyage, est devenu travailleur social. Le meurtre d’une femme, Clara Torrès, violée et torturée, pousse Rozenn à reprendre contact avec Rinetti. Non seulement ce dernier, impliqué dans différents mouvements d’extrême-gauche a sûrement connu Clara, véritable passionaria impliquée notamment dans les mouvements de lutte contre le Front National, mais par ailleurs Rozenn, s’il a pu en dehors des procédures légales identifier les agresseurs, en a vu deux filer pour Belfast. Une fois de plus, donc, il décide de se servir de Rinetti. Ce dernier a en son temps soutenu une faction de militants de l’IRA et a ses entrées en Irlande du Nord. Par ailleurs, Rozenn peut encore faire pression sur le jeune père séparé en menaçant de faire révoquer son droit de garde. Sans possibilité de refuser, mais aussi aiguillonné par la perspective de laisser libre cours à la violence qu’il peine à réfréner, Rinetti, lâché dans Belfast au moment des parades orangistes, acceptera-t-il de jouer le rôle du glaive vengeur de Rozenn ?

Il y a donc l’intrigue de départ, finalement assez vite bouclée, mais il y a aussi dans Hôtel Europa la capacité de Gianni Pirozzi à dépeindre des atmosphères. Ici, de la morne Rennes où Rinetti traîne sa déprime, on passe à l’étouffante Belfast, ville divisée dans laquelle tout le monde s’observe, où l’on se provoque, où l’on se traque. Il suffit de pas grand-chose à l’auteur, le récit d’un barrage improvisé par une milice protestante, quelques pas entre un bastion catholique et un quartier loyaliste, pour donner à ressentir la tension, la violence latente, et la manière dont une société peut fabriquer des psychopathes. Il y enfin, la façon dont Gianni Pirozzi nous fait pénétrer l’âme de ses personnages : Augusto Rinetti, bien entendu, mais aussi Steve le trotskyste de l’INLA que le processus de paix est en train de mettre au chômage comme bien d’autres militants qui, d’un côté ou de l’autre ont offert leur liberté et leur vie à une cause et pour qui déposer les armes revient à mourir socialement.

Hôtel Europa, c’est le roman noir des renoncements aux vieux idéaux, des arrangements que l’on fait avec soi-même en essayant de fermer les yeux pour éviter de perdre le peu d’estime de soi que l’on conserve encore. C’est aussi le désir de justice et l’impossibilité de l’obtenir comme on le voudrait dans un monde qui de toute manière continuera de tourner avec ou sans nous. Ce sont des personnages qui trébuchent, qui pour certains cherchent même la chute et qui, parfois, se relèvent malgré tout.

Gianni Pirozzi, Hôtel Europa, Rivages/Noir, 2004. 285 p.

Du même auteur sur ce blog : Romicide ; Sara la noire ;

Publié dans Noir français

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