Volt, d’Alan Heathcock

Publié le par Yan

Nous sommes à Krafton, village imaginaire situé dans une Amérique qui l’est sans doute un peu moins, quelque part dans la Bible Belt. Loin des grands centres urbains, soumis aux caprices du fleuve, peuplé d’agriculteurs rugueux et de petits blancs miséreux vivant en clans, doté d’un shérif élu pour blaguer mais qui n’en prend pas moins son travail à cœur avec une idée toute personnelle de la justice et d’un pasteur tiraillé entre sa mission et les épreuves personnelles qu’il traverse, Krafton nous est raconté à travers huit nouvelles qui baignent quelque part entre un onirisme noir et une lugubre réalité.

Souvent sur le fil, toujours prêt à basculer aux limites du réel, comme avec cette nouvelle d’ouverture, « Le train de marchandise », qui voit un agriculteur, Winslow Nettles, dévasté par la culpabilité après l’accident dans lequel il a tué son enfant, sombrer dans la folie et fuir Krafton pour devenir une attraction de foire ou dans « Fumée », récit de l’escapade nocturne d’un père et d’un fils partis dissimuler un cadavre, Alan Heathcock est constamment à la recherche du mot juste apte à soutenir la tension qui porte l’ensemble du recueil. Il en va de même de la très belle nouvelle « La fille », qui débute dans un lugubre labyrinthe de maïs et qui parle de la disparition d’enfants. Les enfants, d’ailleurs, qui sont au centre de bien des récits. Enfants perdus, enfants disparus, enfants partis et indéfiniment victimes mais qui peuvent aussi se transformer en grandissant en impitoyables bourreaux (« Permission »).

Derrière tout cela se dessine une Amérique abandonnée, oubliée, avec son lot de malheurs, ses névroses et les conséquences de ce qui se joue ailleurs. Les soldats envoyés loin de là ne reviennent pas tous mais ne cessent d’exister, les vieilles histoires remontent à la surface et, shérif ou pas, on règle les comptes entre soi.

« C’est ça, les Delmore, reprit Winnie. On est pas les sauvages que certains disent. Des fois, les choses vont de travers mais, bonnes ou mauvaises, on les redresse. La loi a pas à se mêler de ça, on a déjà suffisamment à faire. »

Terriblement violent sans être inutilement démonstratif, aussi terrible par ce qu’il dit que par ce qu’il passe sous silence, Volt est un recueil hypnotique, étrange et malsain. Un étonnant objet littéraire.

Alan Heathcock, Volt (Volt, 2011), Albin Michel, 2013. Rééd. 10/18, 2015. Traduit par Olivier Colette. 285 p.

 

Publié dans Noir américain

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