Sinatra Confidential, de Shawn Levy
« C’était s’éclater, baiser, être élégant, frimer et faire la fête.
C’était Frank, Sammy Davis Jr, Dean Martin, Peter Lawford pendant un temps, puis Joey Bishop quand ils lui ont demandé de les rejoindre, Jack Kennedy, Sam Giancana, des tablées de copains et Dieu sait combien de filles.
C’était l’ultime sursaut du showbiz à l’ancienne : à la fois son dernier soupir et son paroxysme.
C’était le sommet de leurs vies et la crise de la quarantaine.
C’était l’apogée du siècle américain et une mascarade mercantile, corrompue, répugnante.
C’était le Rat Pack.
C’était magnifique. »
Tout un programme, donc, que ce Sinatra Confidential, biographie de Sinatra surtout, mais aussi des autres membres du Rat Pack (le titre original est d’ailleurs Rat Pack Confidential). Voyage dans une Amérique où s’entremêlent gloire, cinéma, musique, politique et mafia le temps de quelques années qui marquent, ainsi que le dit Shawn Levy, à la fois l’apogée d’un certain show business et le début de la fin d’une époque. Car à travers le portrait du Rat Pack et de son leader, Levy ne fait pas que raconter des anecdotes, mais peint aussi en filigrane le portrait d’une Amérique cynique qui n’a pas eu besoin de la mort de Kennedy pour perdre son innocence, mais tout au plus pour faire glisser le voile qu’elle posait pudiquement sur ce qu’elle ne voulait pas forcément voir.
Pas d’hagiographie ici, mais un livre document qui vient gratter jusqu’à l’os les dessous du Rat Pack. Des dessous pas toujours très reluisants – et on s’en doutait bien déjà après avoir lu, entre autres, l’American tabloïd d’Ellroy où le somptueux Dino de Tosches – mais qui n’empêchent pas la fascination. Cette façon qu’a Shawn Levy de livrer les faits bruts, dans toute leur crudité, sans pour autant nier le talent bien réel de cette bande types étonnants, de montrer à la fois combien ils sont humains, bassement humains, et des icônes, fait de Sinatra Confidential, belle découverte à nouveau de Philippe Blanchet pour la collection Rivages Rouge, un formidable bouquin.
S’appuyant sur un corpus important d’ouvrages déjà publiés mais aussi d’une masse considérable de témoignages, Levy livre un document à la fois passionnant et instructif et une série de fort beaux portraits. L’on voit apparaître derrière la séduction et les fêtes interminables les querelles d’ego largement dominées par un Sinatra parfois sentimental mais généralement obsédé avant tout par le besoin de plaire aux puissants et de dominer les faibles. Pathétique pantin entre les mains des Kennedy et de Giancana avant que son narcissisme ne le rende incontrôlable, il prend ici l’envergure d’un véritable personnage tragique, tout comme l’écorché Sammy Davis Junior ou Peter Lawford perdant son indolence pour tomber en disgrâce. Le seul à survoler tout cela, par la force d’un individualisme forcené malgré son appartenance à la bande, est Dean Martin, la véritable icône cool du livre de Shawn Levy malgré le fait qu’il demeure constamment au second plan.
Riche en anecdotes, vif et iconoclaste, Sinatra Confidential est un document passionnant.
Sahw Levy, Sinatra Confidential (Rat Pack Confidential, 1998), Rivages Rouge, 2015. Traduit par Nicolas Guichard. 364 p.