Le petit arpent du Bon Dieu, d’Erskine Caldwell

Publié le par Yan

Toujours à la pointe de l’actualité littéraire, je découvre tranquillement Erskine Caldwell avec ce roman de 1933 (mais traduit en français en 1936 seulement, tu parles d’une excuse).

Nous sommes donc au début des années 1930 dans un patelin du fin fond de la Georgie. Là, tenaillé par la fièvre de l’or, Ty Ty Walden, avec l’aide de ses fils Buck et Shaw et de ses nègres, creuse méthodiquement sa propriété à la recherche d’un improbable filon. Mais dans ce Vieux Sud bigot, on garde un arpent pour le Bon Dieu : tout ce qui y est produit ou récolté va à l’Église. Et Ty Ty, au fur et à mesure qu’il troue sa terre, déplace régulièrement ce petit arpent sur lequel, de fait, il ne produit plus rien.  Et puis s’il y a les fils de Ty Ty, il y a aussi les filles, Rosamond et Darling Jill et, plus séduisante encore, Griselda la belle-fille. Et Will, le gendre ouvrier d’une filature prête à fermer si les ouvriers n’acceptent pas la baisse de leur salaire, meneur d’hommes et séducteur. Autant dire qu’il n’y a pas que la fièvre de l’or qui touche la famille Walden.

Le petit arpent du Bon Dieu commence comme une farce. Alors que Ty Ty et ses fils creusent au milieu de cette propriété transformée en immense champ de trous et de bosses, débarque Pluto Swint, personnage falot épris de la fantasque Darling Jill et candidat au poste de shérif du comté. Pluto, soucieux de séduire celui qui pourrait devenir son beau-père si ses rêves se réalisaient, vante les mérites des noirs albinos et plus particulièrement leurs capacités magiques à trouver les filons d’or. Ça tombe bien, Pluto en a justement vu un dans les marais. Et Ty Ty de décider de partir en quête de ce drôle de nègre pour le capturer et le mettre au travail sur sa propriété.

Mais la comédie verse peu à peu dans le roman noir à mesure que se révèlent les tensions entre les personnages, les dissensions et les points de rupture. Minée par une concupiscence qui s’affirme autant dans la recherche obsessionnelle de l’or que dans le désir sexuel et les relations consommées ou pas entre les différents personnages, la famille Walden s’achemine lentement mais sûrement vers le drame. Un drame à plusieurs facettes par ailleurs puisque la crise vient aussi s’immiscer dans le récit au travers de la fermeture annoncée de la filature contre laquelle combat Will.

Ce qui séduit chez Caldwell, c’est cette capacité à passer de loufoquerie au noir le plus profond – sans doute parce que la vie est un peu comme ça – et à décrire ces paysans incultes, ces rednecks superstitieux en se gardant bien de les juger. Les Ty Ty, Griselda, Pluto, Will ou Darling Jill sont comme ça, un point c’est tout et ce qu’ils sont dicte leurs comportements qui, pour ne pas être forcément en accord avec ce que la société juge admissible ne sont ni pire ni meilleurs que ce que ladite société a à proposer en retour à ces ploucs que vient heurter la Grande Dépression.

Dans le genre strict du roman noir ont porte légitimement aux nues un Jim Thompson ou, un peu plus récent, un Harry Crews qui eux aussi décrivent ces moins-que-rien du trou du cul de l’Amérique, leurs pulsions, leur rapport au sacré. Nul doute qu’ils doivent beaucoup à Caldwell qui, alors que l’on encense Faulkner, un de ses contemporains, mérite d’être redécouvert.

Erskine Caldwell, Le petit arpent du Bon Dieu (God’s Little Acre, 1933), Gallimard, 1936. Rééd. Folio, 2000. Traduit par Maurice-Edgard Coindreau. 270 p.

Publié dans Noir américain

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