Zarbi, de Cathi Unsworth

Publié le par Yan

En 2003, Sean Ward, ancien flic bénéficiant d’une pension d’invalidité joue les détectives privés. Vingt ans plus tôt, à Ernemouth, petite station balnéaire du sud de l’Angleterre un meurtre a eu lieu. La coupable a été arrêtée dans la foulée. Corrine, adolescente un peu paumée, « zarbi » avec ses coiffures et son look excentriques, ses amis louches, sa mère prostituée, sa passion pour la magie et ses crises de catatonie était la personne idéale pour tenir ce rôle. Jugée et condamnée, elle croupie dans un hôpital psychiatrique. Mais depuis des années une avocate cherche à la faire sortir et, les progrès de la science aidant, des tests ADN montrent qu’il y aurait eu une autre personne sur les lieux. À Sean Ward de prendre le pouls de la ville et de lever le voile sur les événements qui, en 1983 et 1984, ont agité la petite société de cette ville calme et les vies d’un groupe d’adolescents.

Jouer avec les allers-retours entre les époques afin de maintenir le suspense, s’immiscer dans la psyché adolescente, voilà deux procédés ou ambitions qui, mal maîtrisés, peuvent devenir des impasses pour l’écrivain. Cathi Unsworth, pour sa part, les domine de bout en bout, conférant à son roman une atmosphère délétère oscillant entre fascination et répulsion. Alternant les chapitres mettant en scène les événements qui mèneront au drame de 1984 et l’enquête de Ward auprès des acteurs restant de cette affaire, l’auteur maintient un équilibre précaire, certes, mais bien réel entre ce qu’il convient de révéler au lecteur pour le pousser à chercher à la fois coupable et victime – puisqu’on ne connaît l’identité ni de l’un ni de l’autre – et ce qu’il faut dissimuler afin de le laisser douter jusqu’au bout, même si le tableau d’ensemble se révèle peu à peu.

Mais cette seule maîtrise technique ne suffit pas à faire un bon roman. Ce qui fait de Zarbi un roman noir de qualité, c’est la façon dont Cathi Unsworth, avec délicatesse, sensibilité et acuité restitue le début des années 1980 dans une Angleterre en crise et les affres de l’adolescence. Jalousies, béguins, amour de la musique, ennui, amitiés qui se font et se défont… tout cela est évoqué avec précision sans pour autant que le trait soit trop appuyé.

Ainsi, avec une certaine tendresse mais sans concessions, Unsworth plonge son lecteur dans ce microcosme aussi familier qu’étrange et dans une petite ville de province qui prend petit à petit l’apparence d’un véritable piège géant. Peut-être pourrait-on reprocher à Zarbi de s’appuyer un peu trop, à l’approche du dénouement, sur les archétypes du thriller à base de superméchant retors, mais il ne faut pas bouder son plaisir lorsque cela est comme ici bien fait. Les âmes corrompus qui président aux destinés d’Ernemouth y apparaissent finalement pour ce qu’elles sont : l’incarnation d’une société à la dérive qui refuse de se regarder en face et dans laquelle ce sont les plus forts qui ont raison.

Cathi Unsworth, Zarbi (Weirdo, 2012), Rivages/Thriller, 2014. Traduit par Karine Lalechère.

Publié dans Noir britannique

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C
Je le note et le souligne, m'intéresse beaucoup, merci :)
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Y
Avec plaisir!