Lignes de fuite, de John Harvey

Publié le par Yan

Depuis le temps que l’on m’en parle, je me décide enfin à ouvrir un roman de John Harvey. J’aurais pu commencer par le premier mais j’avais le dernier sous la main.

Si Karen Shields, inspectrice des homicides d’origine jamaïcaine enquêtant sur la mort d’un jeune Moldave est présentée comme l’héroïne de Lignes de fuite, ce sont pourtant deux autres personnages qui m’ont semblé être au cœur de ce roman : Trevor Cordon, vieux policier d’une petite ville de Cornouailles et Letitia, ancienne toxicomane qui cherche à fuir avec son fils son époux membre de la pègre ukrainienne sont certainement ceux qui confèrent à Lignes de fuite une réelle épaisseur et l’humanité qui manqueraient sans cela et en ferait un simple et très classique roman de procédure.

Des années durant – il l’a connu adolescente, quinze ans plus tôt – Cordon a tenté d’aider Letitia avant qu’elle ne disparaisse dans la nature. Son retour est pour lui l’occasion de réessayer là où, d’évidence, il a échoué auparavant et, pourquoi pas, à quelques années de la retraite et après une mise au placard, d’atteindre une forme de rédemption. La relation qui se noue entre cette jeune femme sauvage, éprise de liberté mais aussi très pragmatique et le vieux policier déboussolé qui voudrait incarner une certaine droiture annonce un parcours mouvementé dont on peut penser que, peut-être, à un moment ou un autre, il finira par croiser celui de Karen Shields embringuée dans une enquête difficile aux multiples ramifications.

L’incontestable talent de John Harvey, ici, est la manière dont il arrive à combiner les trajectoires de ses personnages auxquels il sait donner chair et complexité et le procedural efficace. Si l’on peut certainement regretter que Karen Shields dont on sent qu’Harvey ne fait qu’effleurer son histoire personnelle ne soit pas plus mise en situation de se révéler, il n’en demeure pas moins que, grâce à elle et à son enquête, l’auteur brosse en filigrane le portrait d’une société qui se sent partir à la dérive sans toujours savoir à quoi se raccrocher. Une indécision qui permet à ceux qui ont le moins de scrupules, y compris au sein des institutions comme le rappelle une fin en forme d’ultime suspense, de faire leur nid.

Il ressort donc de cette lecture que si Lignes de fuite n’est sans doute pas un grand roman de John Harvey – si l’on en croit du moins l’enthousiasme avec lequel ses admirateurs parlent de Cœurs solitaires ou de Off Minor – il n’en demeure pas moins qu’il aparaît comme un roman efficace porté par une écriture agréable et, surtout une capacité à présenter avec finesse et élégance ses personnages et leurs états d’âmes. Bref, une tardive mais heureuse découverte pour moi.

John Harvey, Lignes de fuite (Good Bait, 2012), Rivages/Thriller, 2014. Traduit par Karine Lalechère. 364 p.

Publié dans Noir britannique

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O
John Harvey c'est avant tout (à mon avis) sont héros Charles Resnick avec ses chats, ses ascendances polonaises, son ex et sa musique, et oui, j'aime beaucoup et c'est à découvrir, forcément.
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Y
Promis, je vais m'y coller.
J
En commentaires les 3 dieux vivants des blogs consacrés au polar
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Y
Dieux, je ne sais pas. Vivants, c'est certain.
P
Coeurs solitaires cher ami, coeurs solitaires. Après tu seras accro !
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Y
On ne cesse de me le répéter. Il faut juste que je trouve le temps!
J
Je confirme, la série Resnick est magnifique, à essayer quand tu auras le temps. La rolls du procédural, un peu comme Hurley.
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Y
Il va bien falloir que je m'y mette!