Les Frères Sisters, de Patrick deWitt
Tueurs redoutables et redoutés, légendes de l’Ouest, les frères Eli et Charlie Sisters font route vers la Californie. Ces deux hommes de main du terrible Commodore doivent y retrouver pour l’abattre un chercheur d’or qui a eu l’audace de refuser quelque chose à leur patron.
Et Eli de raconter cette drôle d’épopée aux côtés de son frère dans un Far West quasi fantasmagorique où s’accumulent les rencontres dont l’étrangeté le dispute à une subtile poésie. Car si Patrick deWitt a décidé de glisser dans son roman quasiment tous les poncifs du genre – duels, trappeurs, attaques d’ours, Indiens, tyrans locaux et autres chirurgiens-dentistes improvisés – le regard porté par Eli, le « gentil » du duo, tueur impitoyable parfois un peu candide et fleur bleue, sur les événements et les questions qu’il se pose sur son métier donne au roman un aspect décalé qui flirte bien souvent avec le conte philosophique.
C’est avec un plaisir et un étonnement sans cesse renouvelés que l’on suit donc les tribulations de ces deux drôles de pistoleros que l’on voit tour à tour ivre mort (Charlie), découvrant avec joie le dentifrice (Eli), mortellement en colère (Charlie), faisant une vaine tentative de régime (Eli), croisant vieille sorcière, adolescent promis à la mort, homme fou de chagrin ou castor opiniâtre et un brin hargneux.
« Cela faisait un an environ que j’avais entièrement cessé de fréquenter les filles parce qu’il me semblait que l’abstinence était préférable à cette pantomime d’intimité humaine ; et bien que de telles pensées fussent déplacées chez un homme dans ma position, je ne pus m’empêcher, en voyant ma corpulente silhouette dans les vitrines des magasins, de me demander. Quand est-ce que cet homme-là trouvera l’amour ? »
Car au fond, derrière l’humour noir ou franchement décalé avec lequel joue Patrick deWitt, Les Frères Sisters est aussi et surtout un roman sur la solitude et l’amour. Celui dont se prend à rêver un Eli fatigué de tuer, mais aussi cet amour fraternel meublé de silences et de non-dits qu’il partage avec Charlie. C’est la belle alchimie de tous ces éléments qui permet à l’auteur de nous offrir un roman qui est à la fois western, parodie de western et quête existentielle… un livre réellement enthousiasmant.
Patrick deWitt, Les Frères Sisters (The Sisters Brothers, 2011), Actes Sud, 2012. Rééd. Babel, 2014. Traduit par Emmanuelle et Philippe Aronson. 358 p.