Le cannibale de Crumlin Road, de Sam Millar

Publié le par Yan

Deuxième volet des enquêtes du détective privé Karl Kane et de ses hémorroïdes, Le cannibale de Crumlin Road, comme le précédent volume (Les chiens de Belfast, traduit en France en 2014), joue à la fois avec l’image du détective dur à cuire et avec les poncifs du thriller à base de tueur en série retors et bénéficiant si ce n’est de la protection active, à tout le moins de l’ignorance volontaire des institutions qui devraient tout mettre en œuvre pour l’arrêter.

Ici donc Karl Kane affronte un riche notable déséquilibré rompu aux techniques de gavage de la volaille qu’il applique à de jeunes filles pour mieux manger leurs abats.

Sans doute convient-il de commencer par solder la question de l’intrigue abracadabrantesque du roman. Nul besoin d’être Sherlock Holmes pour y relever incohérences – à commencer par un Karl Kane hospitalisé et plâtré qui, dans les jours qui suivent, gambade à travers Belfast et combat le tueur – accumulation d’heureuses coïncidences et justes conclusions tirées d’ont ne sait où qui permettent de mettre Kane sur la piste de l’assassin. Il y a là, en effet, de quoi rebuter les esprits cartésiens.

Mais peut-être faut-il voir avant tout dans Le cannibale de Crumlin Road l’œuvre d’un écrivain adepte du roman noir mais aussi des Comics américains – une passion que Millar évoque avec insistance dans son récit autobiographique, On the Brinks – et qui cherche avant tout à jouer avec les archétypes de ces deux genres populaires. Un jeu qui apparait clairement dans des dialogues ponctués de réparties bien senties et de réflexions drolatiques assez souvent situées sous la ceinture :

« De quoi s’agissait-il ?

-Juste d’un démarcheur.

-Et qu’est-ce qu’il vendait ?

-Des torchons sales et des incertitudes.

-Il devrait surtout changer d’after-shave. Il a dû se tremper dedans. » Elle agitait la main pour faire circuler l’air. « Beurk. Quelle puanteur !

-Oui, il trimballe vraiment une odeur de merde », dit Karl en cherchant sa crème antihémorroïdes. Son cul le picotait terriblement, tel Spiderman pressentant un danger. »

Car Karl Kane, c’est un peu ça : le détective qui voudrait bien incarner la fusion d’Humphrey Bogart et de Peter Parker mais qui se rapproche plus de l’alliance d’un membre des Mystery Men avec le Mel Gibson de L’Arme Fatale.

Si l’on peut donc regretter, tout comme dans le volume précédent, l’incohérence et la minceur de l’intrigue, il n’en demeure pas moins que l’on passe avec ce Cannibale de Crumlin Road un moment de lecture qui, pour peu que l’on aborde le roman comme une série B tournée vers la parodie, se révèle sinon inoubliable à tout le moins agréable.

Sam Millar, Le cannibale de Crumlin Road (The Dark Place, 2010), Seuil Policiers, 2015. Traduit par Patrick Raynal.

Du même auteur sur ce blog : Redemption Factory ; On the Brinks ; Les chiens de Belfast ;       

Publié dans Noir irlandais

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