Avaler du sable, d’Antônio Xerxenesky
« - […] Je veux savoir si je suis un homme de réflexion ou un homme d’action, tu comprends ? Parce que je vais mettre ça dans mon récit. Je veux savoir si, à Mavrak, les choses étaient, et là je cite le maître italien, "comme une danse de la mort", ou si… ou si…
-Ou si des gens mouraient tout le temps au ralenti ? Merde, Juan. Écoute, il est tard. C’est pas l’heure de discuter cinéma. Quelle différence ça fait ? T’es en train de raconter l’histoire de ton Juan, pas de Clint Eastwood.
-Mais il y a tellement de choses que je ne sais pas, Carlos.
-Alors pourquoi tu veux raconter cette histoire ? »
Juan, retraité et seul dans son appartement de Mexico a donc décidé de raconter l’histoire d’un autre Juan, son ancêtre, dans la petite ville de Mavrak, quelque part dans le Far-West. Là, les Ramirez menés par Miguel, le père de Juan, s’opposent aux Marlowe dans un classique affrontement entre Mexicains et Américains. Mais un meurtre de trop vaut à Mavrak l’arrivée d’un shérif chargé de remettre de l’ordre, de faire cesser la vendetta et, surtout, de faire enfin régner la justice dans ce coin isolé.
Mais, comme l’avoue le Juan contemporain, il ne sait pas grand-chose de la Mavrak du XIXème siècle et de l’histoire de sa famille. Il ne sait pas non plus vraiment écrire. Aussi le récit des événements qui ont eu lieu à Mavrak est-il à la fois décousu et très certainement inventé par Juan. Et si la vision du Far-West de Juan est avant tout celle acquise en regardant des films de Sam Peckinpah et de Sergio Leone, le roman dans lequel vient s’imbriquer l’histoire écrite par Juan, celui du brésilien Antônio Xerxenesky, est en outre nourri au lait des westerns et des films d’horreur de série B. Ce qui vaudra au lecteur de croiser aussi bien quelques cowboys tout droit sortis d’un film Sergio Corbucci que des zombies échappés d’un nanar de Bruno Mattei.
L’intrusion du Juan narrateur dans les aventures du personnage de Juan, et la qualité médiocre de son récit bourré de poncifs et se cherchant constamment un style – il passe ainsi de la narration pompeuse au scénario en passant par un ton plus familier – vient ainsi jouer de cette effet comique propre au nanar de cinéma et ancre Avaler du sable dans le récit parodique. On ne s’arrêtera cependant pas là, car derrière ce paravent comique, Xerxenesky s’interroge aussi, l’air de rien, sur l’identité, la recherche de ses racines et la solitude.
Récit protéiforme étonnant, Avaler du sable se révèle donc être une lecture déstabilisante et réjouissante, un drôle de voyage.
Antônio Xerxenesky, Avaler du sable (Areia nos dente, 2010), Asphalte, 2015. Traduit par Mélanie Fusaro. 177 p.